Besançon : vent de fronde contre « l’impunité néonazie »
« Besançon, ville antifasciste ! » pouvait-on entendre ce samedi 17 septembre, dans les rues de la capitale comtoise. Environ 850 personnes étaient mobilisées, protestant contre les nombreuses exactions perpétrées ces derniers mois par un groupuscule néonazi… et l’impunité dont ses membres bénéficieraient jusqu’alors. Attaque d’un meeting de gauche, menaces contre des manifestants syndicaux, agressions de journalistes indépendants, se sont effectivement enchaînés, ces six derniers mois, dans une relative indifférence générale. Jusqu’à une ultime descente effectuée le 27 août dernier, où saluts fascistes et « heil Hitler » ont été rapportés. L’excès de trop pour la population et une pléiade d’organisations, qui ne veulent désormais plus laisser passer de telles dérives.
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Le cri d’un ras-le-bol populaire.
« Ça faisait plusieurs années qu’on avait pas vu un tel cortège [antifasciste] ! » s’enthousiasme Claire Arnoux, dont la France Insoumise avait appelé à rejoindre l’événement. Beaucoup de jeunes et étudiants, de familles, d’habitants de quartiers, ont en effet répondu présent. Mais aussi, comme elle, une flotte inédite de représentants d’organisations politiques, de syndicats, de collectifs, d’associations, d’élus… du Parti Socialiste à la Fédération Anarchiste, avec même quelques centristes et conservateurs, des couleurs de la CGT ou de SUD/Solidaires aux étendards LGBTQIAP+ et féministes, des antennes de Solidarité Migrants-Réfugiés à Espoir et Fraternité Tsiganes jusqu’à l’AFPS, ainsi que des établissements alternatifs tels le Pixel, le Tandem, les Passagers du Zinc…
Ils étaient quelques six-cent participants d’après la Préfecture du Doubs, près d’un millier pour l’encadrement. Une « démonstration de force » pour ces derniers, avec la « concurrence » des journées du patrimoine et du salon littéraire « Livres dans la Boucle. » Dans la plus pure tradition bisontine, la date était organisée sous l’impulsion d’autonomes et sans déclaration préalable. Une donnée qui a provoqué la panique en haut-lieu, les pouvoirs publics ayant dépêché toute une compagnie de CRS en renfort. Le parcours n’en a pas moins été tenu, malgré les vaines provocations d’un groupe de cinq radicaux attablé au « Madigan’s. » « Besac’ antifa » a pu résonner du départ place du Huit-Septembre à la dispersion esplanade des Droits Humains, avec des moments forts.
Dans la fontaine de l’État-Major, Michel, fils du Résistant Roger Boutonnet, fusillé le 5 septembre 1944, a ainsi pris la parole : « nous sommes place Jean-Cornet, abattu par les SS avant la Libération… c’est ici que les nazillons d’aujourd’hui sont venus s’exhiber, jamais nous n’oublierons ! » puis la marche est poussée non-loin au « Shake Pint » à Rivotte, troquet régulièrement mis en cause pour sa particulière indulgence avec la clientèle nationaliste. « Pas de terrasses pour les nazis » est scandé, sous la vigilance d’agents de la BAC. « Quand il s’agit de museler la contestation y’a des moyens, mais lorsque les fafs pavoisent et tabassent là y’a plus personne » s’emporte un quinquagénaire venu avec femme et enfants. Quelques mots tranchés, qui résument un contexte explosif.
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Une chronologie locale édifiante
Depuis environ dix-huit mois, l’extrême-droite comtoise renouvelle ses troupes. Aux figures néonazies historiques, se sont agrégés des jeunes cadres et militants issus du Rassemblement National, de Génération Zemmour, de la Cocarde Étudiante, ou encore de l’Action Française. Une conduite dictée par la nécessité de subsister numériquement, autant qu’une vision stratégique revue et corrigée afin d’accroître visibilité et impact du clan. Au-delà des beuveries et ratonnades de 2019-2020 (*), les différents acteurs de cette mouvance ont ainsi tenté d’engager une dynamique en ralliant les derniers mouvements sociaux d’ampleur. Mais que ce soit à l’occasion des gilets jaunes (*) ou durant l’opposition aux mesures sanitaires (*), à chaque fois l’échec fut lourdement cuisant.
L’année 2021 voit dès lors s’amorcer des brutalités ciblées, notamment le 31 janvier pendant une mobilisation féministe (*), le 1er février contre l’entrepreneur Khaled Cid (*), ou encore le 17 juillet lors d’une manif’ anti-pass (*). Une tendance qui s’ancre et se développe en 2022, avec l’attaque d’un meeting de Philippe Poutou le 9 mars (*), le parasitage d’un cortège le 1er mai (*), ou les menaces et coups sur un reporter le 22 août (*). Le tout s’accompagnant de conflits à l’université (*), de dérapages récurrents dans certains bars (*), d’apparitions quotidiennes de graffitis explicites (*), de dégradations signées de la croix gammée visant le candidat NUPES Stéphane Ravacley (*) et les locaux de radio BIP (*), ou d’apologies hitlériennes telles que les 14 mai (*) et 27 août 2022 (*).
Jusqu’alors, les Autorités ont surtout fait preuve d’indifférence. Sur les faits cités ci-avant, seuls deux ont été vraiment instruits… grâce au flagrant-délit, permettant la condamnation de leurs auteurs pour « violences aggravées. » Quant aux nombreux autres cas égrainés, c’est souvent l’inertie qui règne ; malgré, parfois, des suspects identifiés, des témoignages circonstanciels, voir des vidéos accablantes. Plusieurs dossiers ont même été carrément abandonnés, à l’instar des actes de vandalisme perpétrés en 2021 sur un passage piéton « arc-en-ciel » (*) et sur le buste d’Henriette de Crans (*). Si bien qu’Anne Vignot, Maire de Besançon, a décidé d’interpeller les services compétents. Une confiance brandie dans les institutions, loin d’être aussi partagée dans les rangs.
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« Après, on fait quoi ? »
Sur place, beaucoup misent essentiellement sur l’implication de la population. « C’est important que des politiques soient là et secouent le cocotier, mais c’est insuffisant. Le barrage à l’extrême-droite, c’est pas avec des communiqués ou via les urnes qu’il se fait. C’est d’abord quand chacune et chacun s’empare de cette cause, comme on le fait aujourd’hui ! » analyse Sabrina, originaire des Clairs-Soleils. Un propos que nuance Joël, qui a voté pour l’union de la gauche aux municipales de 2020 : « Le Pen aux présidentielles de 2022, c’était à peine 7% dans la Boucle… les bras tendus n’ont aucun avenir ici, alors ils bercent dans la terreur. Mais là c’est aux responsables concernés de prendre le relais, je serais donc attentif à ce qui a été fait ou non dans mes futurs choix électoraux. »
Mais globalement, la question des suites concrètes à donner traverse également la foule. « Ce fut une journée incroyable, il y avait du monde, ça donne la pêche pour continuer, après on fait quoi ? L’action antifasciste ce n’est pas que de grosses actualités, c’est aussi agir sur le fameux tonton un peu raciste ou à propos des stéréotypes discriminants qu’on entend parfois en milieu scolaire. La galère c’est que pour s’y attaquer, on peut se sentir un peu seul.e ou dépassé.e » expose Alice, lycéenne de la région. Un avis partagé par les activistes les plus aguerris, la plupart s’étant récemment formés en structures plus ou moins formelles. « Mais pour lutter efficacement contre cette menace, il faut emmener plus largement des bonnes volontés et compétences » admet une de ses voix.
Au fil des conversations, des axes de réflexion se dessinent. « Rester solidaires, faire bloc ensemble, remonter la moindre anomalie… c’est-à-dire mettre à profit l’information qui existe, revoir nos pratiques aux collages et manifs, mais aussi aller au cœur du problème » développe une source, familière du sujet. Dans la ligne de mire de cette ultime allusion, la poignée de cafés, brasseries ou commerces jugés perméables aux identitaires. « Ces entreprises sont bien connues, on a pas mal d’archives. Elles servent d’avant-poste aux fachos, leur permettant de commettre leurs ignominies. Articles de presse, appels au boycott, pressions sur les financiers et propriétaires, saisines administratives, actions diverses… jusqu’à ce qu’on retrouve la paix, on ne les lâchera plus » promet-elle.
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