Policier jugé coupable dans « l’affaire Mathias » : notre enquête
5 janvier 2022
Emma Audrey (162 articles)
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Policier jugé coupable dans « l’affaire Mathias » : notre enquête

L’affaire avait fait couler beaucoup d’encre. Nos images avaient fait le tour de l’hexagone. A l’époque, tout le monde était choqué par la violence des images et de voir le jeune Mathias (gilet jaune) en sang.

Retour sur une affaire qui a montré la défaillance de l’État à tous les niveaux

Témoignage. Voici le récit de cette affaire vu par la caméra de Radio BIP / Média 25 :

« Nous sommes le 30 mars 2019. Je me rappelle, je devais prendre ma journée ce samedi là. Je l’avais annoncé sur mes réseaux pour qu’on comprenne pourquoi je ne serai pas présente pour la couvrir comme à mon habitude depuis le début des manifestations Gilets Jaunes. Cependant vers 15h30 je reçois un coup de téléphone d’un ami. Il me dit, tu devrais venir, « ils ont gazé à fond quand le cortège s’est élancé vers le Rectorat ». Après avoir eu l’accord de la rédaction, fiche de mission et matériel prêt, je fais un mot à mon collègue bénévole en sécurité (à l’époque) et je lui demande si ça lui dit de venir garder mes arrières.

C’est ainsi que nous avons quitté la rédaction vers 16h15. Après avoir cherché un peu centre ville de Besançon pour les retrouver, on a fini par tomber nez à nez avec les motards de la police, a deux pas de la rue de la Préfecture.

Deux motos de la police à Besançon suivent de loin la manifestation / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Deux motos de la police à Besançon suivent de loin la manifestation / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

On a fini par les retrouver rue Ronchaux. A partir de ce moment là, nous avons lancé un direct sur les réseaux sociaux. Sans interruption, nous avons filmé absolument toute la manifestation et ceci jusqu’à la fin. On peut donc dire que nous avons eu largement le temps de comprendre si c’était une manifestation violente ou pas.  Et dans ce cas, malgré les dires des autorités, cette manifestation a été bon enfant, surtout centre ville, o le cortège ne s’est arrêté que pour scander des slogans.

Les manifestants passent par le centre ville de Besançon de façon pacifique / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Les manifestants passent par le centre ville de Besançon de façon pacifique / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Vers 17:05 le cortège arrive devant la Préfecture. Comme à son habitude (à l’époque) une rangée de gendarmes mobiles, encadrés par des policiers, bloquent la rue vers la Préfecture, ce qui créé, comme toujours, une forte désapprobation de la part des manifestant.e.s. Par la suite, cette façon de faire sera abandonnée par la Préfecture.

Une poignée de personnes, dont certaines en noir ( 10 plus être plus précise ) se sont réunies derrière une banderole à 50 mètres du cordon des policiers.

Des manifestants en noir, derrière une banderole, à 50 mètres des gendarmes mobiles / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Des manifestants en noir, derrière une banderole, à 50 mètres des gendarmes mobiles / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

A ce moment, quelques pétards  sont jetés devant le cordon des gendarmes qui sont équipés désormais avec des masques à gaz (c’est la procédure quand il vont faire usage de gaz lacrymogènes). Rapidement, les gendarmes vont faire usage des lacrymogènes :

Un gendarme mobile jette une grenade lacrymogène sur les manifestants / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Un gendarme mobile jette une grenade lacrymogène sur les manifestants / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Manifestants dans le gaz lacrymogene à Besançon / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Manifestants dans le gaz lacrymogène à Besançon / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

La suite sera du pareil au même. Une partie des manifestants vont se disperser par le pont Canot, poursuivis par les policiers et les gendarmes qui continuent à tirer des gaz lacrymogènes. Une partie va se disperser par le centre ville et une autre partie vers le parc Chamars.

Des policiers suivent les manifestants parc de Chamars à Besançon / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Des policiers suivent les manifestants parc de Chamars à Besançon / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Les manifestants qui se sont dispersés, dans le gaz lacrymogène par le parc Chamars subiront plusieurs tirs de LBD40. C’est ce même policier (ci dessus) qui tient ce LBD-40 qui va frapper plus tard Mathias à la tête avec sa matraque.

Un policier vise des manifestants avec son LBD-40 parc de Chamars / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Un policier vise des manifestants avec son LBD-40 parc de Chamars à Besançon / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Des manifestants se dispersent par le parc de Chamars / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Des manifestants se dispersent par le parc de Chamars / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Derrière, à coté de l’arrêt du tram, un jeune, qui semble être mineur, (et qui ne fera pas opposition) sera arrêté par des policiers à moto, il sera menotté, plaqué au sol violemment, littéralement levé et jeté par les policiers dans le fourgon de police

Les policiers restants vont se déplacer à pied, jusqu’à l’autre bout du pont Canot, en suivant les derniers manifestants qui se dispersent dans le calme. Quelques instants plus tard, plusieurs voitures de police (dont une banalisée de la BAC)  viennent en trombe les rejoindre. Au même moment, juste à coté du la résidence universitaire, un petit groupe de street médics, lèvent les bras pour faire comprendre aux policiers qu’ils sont en train de s’occuper d’une personne blessée.

Des street-médics lèvent les mains en l'air pour faire comprendre aux policiers qu'ils s'occupent d'un blessé / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Des street-médics lèvent les mains en l’air pour faire comprendre aux policiers qu’ils s’occupent d’un blessé / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Des policiers suivent les manifestants pont Canot à Besançon / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Des policiers suivent les manifestants pont Canot à Besançon / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Le matraquage de Mathias

C’est à partir de ce moment, que les choses prennent une tournure complétement folle. Il est environ 17:40. Le calme est installé. Il ne reste qu’une poignée de manifestants qui se dispersent, sauf deux personnes qui ont fait un malaise à cause des gaz lacrymogènes et qui sont par terre, en train d’être pris en charge par des « street médic »

A ce moment on se trouve encore sur le pont Canot. On essaye d’éviter un cordon de  policiers, on passe avec notre caméra par les voies du tram pour se déplacer vers les street médics. A ce moment précis, la porte de la voiture de la BAC est ouverte et on entend très clairement, un agent qui dit  à son collègue « on va se les taper »

Un agent de la BAC dit en sortant de sa voiture, "on va se les taper" pont Canot à Besançon / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Un agent de la BAC dit en sortant de sa voiture, « on va se les taper » pont Canot à Besançon / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Nous avons réussi à contourner les policiers et nous nous arrêtons pour filmer. On pose la caméra sur l’un des manifestants, que nous connaissons bien car nous l’avions interviewé à plusieurs reprises (à vrai dire, on s’inquiète un peu pour son état).

Un manifestant a fait un malaise et il est pris en charge par les street-médics / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

Un manifestant a fait un malaise et il est pris en charge par les street-médics / Copyright Emma Audrey / Radio BIP / Média 25

C’est à partir de ce moment là qu’une voiture de police arrive par le coté droit des quais à très grande vitesse par les voies du tram. Les policiers vont descendre en vitesse de ce fourgon et commencer à courir vers le carrefour. Du coté du pont, une autre brigade de la BAC pointe le LBD-40 à bout portant sur les manifestants en courant vers eux. De façon instinctive, les manifestants vont se mettre à courir dans tous les sens. Une personne âgée sera bousculée et va tomber.

C’est au contournement de la résidence universitaire que le coup de matraque sera donné. Mathias, se trouve à ce moment là sur le trottoir. Il va s’éloigner des policiers, pour les laisser passer, mais un détail attire son attention. Un des policiers, dans sa course, va faire tomber de sa poche une grenade lacrymogène. Mathias lève les pieds pour l’enjamber. Il témoignera plus tard qu’il a eu peur qu’elle n’explose à ses pieds. Aucun des gestes qu’il va effectuer ne donne l’impression de vouloir la récupérer. Il va aller plus loin et attirer l’attention (de façon verbale) au policier qui l’a fait tomber. Le policier se retourne et il va finir par la récupérer. Pendant que Mathias, rend service au policier qui avait perdu la grenade, un autre policier, arrive par derrière et lui assène un grand coup de matraque sur la tête. Nous allons réaliser plus tard que c’est son front qui avait été visé, car c’est son arcade sourcilière qui sera touchée. 10 points de suture (2 à l’intérieur et 8 à l’extérieur) seront nécessaires pour fermer la plaie.

Nous avons réussi à avoir un autre angle (que le notre) que le vidéaste nous a permis de publier. Voici les séquences en images extraites toutes les 3 frames de la vidéo (que vous pouvez retrouver ci dessous dans la section vidéos)






Entre le moment ou le policier voit Mathias et le moment ou il le frappe, 4 secondes s’écoulent. Il va le frapper, alors qu’il est arrêté loin de tout autre policier, la grenade par terre à un mètre de lui. Le policier va marquer lui-même un arrêt pour se positionner et le frapper à la tête.

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Une fois Mathias frappé à la tête, le policier va continuer sa course, sans se soucier de son état de santé. De plus, Mathias ne sera pas interpellé, comme c’est la coutume lors des interventions de ce type.

Mathias sera sorti de la zone, et soigné par des street-medics. Il sera ensuite pris en charge par les pompier. A aucun moment les policiers vont venir s’intéresser à son état de santé.

Vidéo complète

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La suite sera encore plus étonnante. Notre rédaction va poster un premier tweet à 20h. Nous faisions état de cette situation, en mettant la vidéo du matraquage. Aucun autre média ne parlera de cette affaire, ce jour là, malgré la présence de plusieurs journalistes de plusieurs médias à ce moment précis. Un quotidien de presse écrite local postera uniquement la photo du blessé, avec la description suivante : « Manifestant blessé  » par un coup de matraque », du travail pour les Street medics ».

La vidéo fera très vite plus de 500 000 vues sur les réseaux. C’est suite à la viralité de la vidéo, que d’autres médias vont commencer à s’intéresser à l’affaire. La préfecture va réagir par une déclaration du directeur de cabinet de l’époque, Nicolas Regny. Il expliquera que « L’incident s’est produit dans « dans un contexte de manifestation très violente pour Besançon ». « Dès 16 heures, le Préfet avait demandé aux Gilets jaunes de quitter la manifestation au vu des violences. Des casseurs (une trentaine) étaient présents et voulaient aller au contact des policiers, jetant des projectiles.» »

En première instance, les journalistes de Radio BIP / Média 25 sont mis en cause. La version officielle, essayera de convaincre l’opinion publique sur deux axes: « les journalistes sortent volontairement du contexte le matraquage », « la victime a essayé de prendre une grenade lacrymogène – arme de catégorie D, anciennement catégorie 6 – pour la jeter sur les policiers » et « la victime essaie de protéger les casseurs en faisant obstacle à la progression de la police »

Le Préfet va déclarer cela, au micro de France 3

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A ce stade, nous décidons de republier la même vidéo, en ralenti. La victime qui était décriée comme agresseur dans la première déclaration, va devenir à nouveau victime. C’est cette vidéo qui va transformer la situation. Le Préfet expliquera au micro de France 3, qu’en raison des éléments nouveau apportés par notre média, il a décidé de déclencher une enquête IGPN. A son tour, Christophe Castaner, à l’époque Ministre de l’Intérieur, va déclarer à son tour, au micro de France 3 Cotes-D’Azur qu’il a vu la vidéo et qu’il y voit un policier « qui pousse un manifestant », tout en remerciant les forces de l’ordre.

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Au bout d’un an, l’enquête blanchira le policier. Le Procureur de la République de Besançon, Étienne Manteau, va alors faire une déclaration surprenante. Il expliquera que le policier n’avait pas « d’intention coupable » : « Il s’agissait d’une des manifestations les plus violentes du mouvement. Dans ce contexte objectivé par l’enquête, il y a un état de nécessité. Monsieur n’avait pas l’intention de ramasser l’objet. Mais, de l’autre côté, il n’y a pas d’intention coupable de la part du policier. Au vu de ces éléments objectifs, j’ai donc décidé d’un classement sans suite. »

C’est pour cette raison que Mathias a décidé de porter cette affaire au civil. Il sera défendu ce Vendredi 7 Janvier 2022 (procès a lieu à 8h30), par maitre Arié Alimi, qui fait le déplacement pour l’occasion. Un rassemblement est prévu à 8h devant le TGI de Besançon

*Le 6 mai 2021, l’avocat de la partie adverse avait demandé un renvoi du procès à une date ultérieure.

Edit – 11/02/2022

Le policier a été jugé coupable des faits reprochés : 1000€ d’amende avec sursis. 500€ de préjudice moral pour Mathias et 1000€ conformément à l’article 475-1 (remboursement des frais de justice). Retour sur le direct du procès:

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Emma Audrey

- Journaliste grand reporter.