Besançon : des étudiants dénoncent les violences sexuelles à l’I.S.B.A.
22 septembre 2020
Toufik-de-Planoise (97 articles)
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Besançon : des étudiants dénoncent les violences sexuelles à l’I.S.B.A.

Un aperçu des bâtiments de l’I.S.B.A., en janvier 2018 – crédit : Arnaud25.

Un collectif d’étudiants s’est constitué, dénonçant ce lundi, par un communiqué, des faits de harcèlement et d’agressions sexuelles, ainsi qu’un viol, au sein du célèbre Institut Supérieur des Beaux-Arts de Besançon (I.S.B.A.). Selon ses auteurs, de multiples atteintes de cet ordre ont été perpétrées à l’encontre d’au moins sept élèves majeurs… dont certains actes entre les murs de l’établissement, à partir de 2016. Deux fonctionnaires sont explicitement visés dans une procédure pénale : un enseignant et un cadre. Aucun d’eux n’a réagit pour l’instant. Mais, tant dans les couloirs qui mènent aux salles de classe que sur le web, les langues commencent à se délier.


D’un cas isolé à un flot de paroles.
Nous rencontrons M. début septembre. On lit dans son regard de l’appréhension, mais aussi une volonté ferme. Avec ses camarades et compagnons d’infortune, c’est une chape de plombs qu’il entend briser. Il semble avoir bien pesé le pour et le contre, et c’est donc déterminé et lucide qu’il se confit. « J’ai été sexuellement agressé par G., un professeur. C’était un soir de mars 2019, dans l’enceinte de l’école. Il m’a proposé de boire un verre avec lui, une situation habituelle. J’ai accepté, en annonçant que je ne resterais pas longtemps puisque fatigué par l’investissement des jours passés. On s’est installés sur un canapé, et on a consommé quelques bières. »

Il poursuit. « La discussion s’est prolongée, jusqu’à minuit passé. Exténué et un peu ivre, j’étais à l’ouest. J’ai exprimé mon souhait de rentrer chez moi, mais G. m’a convaincu de rester pour le dîner. Le repas terminé, nous avons conclu par un karaoké comme cela nous arrive parfois. J’ai ainsi entamé les premières strophes de la chanson, et quelques secondes plus tard, il était en train d’enlever la ceinture de mon pantalon. Sa tête est descendue au niveau de mes cuisses, et ses doigts se sont dirigés vers la fermeture éclair dans le but de l’ouvrir et d’accéder à mon caleçon. Il a touché mon sexe au travers du tissu. Je l’ai repoussé en disant que je ne voulais pas ça. »

« À l’intérieur de moi, je ne comprenais pas vraiment ce qui venait de se passer. J’ai eu envie de partir au plus vite, j’étais dégoûté, triste, en colère. Par la suite je suis resté cloîtré chez moi, ne voulant absolument pas croiser G. dans la rue ni ailleurs. Mais près d’un an plus tard, il m’a dit qu’on resterait sûrement des amis très proches, parce qu’il avait quand même essayé de me « défroquer » un soir. En somme, la tentative de viol comme signe d’amitié ou d’amour. C’était terrible. » C’est à ce moment là que M. aurait décidé d’en parler, « difficilement au début » insiste t-il. Et, très vite, il se serait rapidement aperçu qu’il pourrait ne pas être le seul concerné.


Jusqu’à sept victimes potentielles.
M. développe. « Des bruits circulaient depuis un moment. J’ai formaliser cela, obtenant sept déclarations concordantes dont six accusent G. À chaque fois, les contextes, lieux, entourages, modes opératoires, sont similaires. Mais ce qui a tout déclenché, c’est lorsque j’ai entendu ce qu’avait vécu T. » Son témoignage, que nous avons obtenu, mais sur lequel il n’a pas voulu revenir davantage, fait froid dans le dos. « J’ai rencontré G. à mon arrivée à l’I.S.B.A. Nous avons débuté une relation amicale, durant mes quatre années. Au cours de cette période, j’avais pris l’habitude d’aller à des apéros chez lui. Mais je restais méfiant, car sa réputation est notoire. »

« Lors d’une soirée en février 2020 où j’avais bu et fumé, j’ai fini par m’endormir chez lui. À mon réveil vers 05h00 du matin, je me suis rendu compte que mon pantalon était baissé, alors que G. était en train de me faire une fellation. Quand je lui fait part de mon choc et de mon dégoût par rapport à ce qui venait de se produire, il m’a dit « roh ça va, ça fait 1h30 que ça dure et t’avais l’air de kiffer. » Quand plus tard j’ai voulu le confronter en lui disant qu’il fallait qu’on se parle, avec lui et un autre ami à qui il avait fait subir la même chose, il m’a reproché d’avoir abordé ce sujet car selon lui, ça ne le concernait pas. De son point de vue, c’était moi qui avait déconné. »

Au fil de notre enquête, toutes les victimes potentielles ne parleront pas, ce qui ne surprend pas M. « C’est lourd à porter. Passé l’effroi, et la prise de conscience, il faut mettre les mots, et affronter des personnalités, qui jouent de leurs réseaux, mais aussi de leur statut et de leur connivence vis-à-vis de soi. » Mais sur place, des étudiants interrogés corroborent sous couvert d’anonymat « un climat pernicieux. » Deux affirmeront que G. « est dans de sales histoires depuis longtemps » ; une troisième se remémorera qu’un père de famille « est venu lui demander des comptes peu avant le confinement. Son fils aurait été abusé par lui. Il a fini par le tabasser. »


« Balance ton école d’Art. »

Copie d’écran de la page Facebook de l’association

Une association dédiée, enregistrée samedi dernier, annonce sans détours la couleur : « balance ton école d’Art » ; référence au « mouvement #me too », qui secoue la planète depuis l’affaire Weinstein. Avec, comme leitmotiv, « promouvoir et développer l’aide et l’assistance aux victimes. » La révélation de ce dossier ne s’est actée que ce lundi, à travers les réseaux sociaux. Mais, déjà, les réactions sont multiples, notamment sur Facebook et Instagram, où aux récits poignants répondent les internautes parfois proches de l’institution. Ainsi certains n’hésitent pas à relayer leurs propres expériences, affirmant également l’existence d’une ambiance délétère.

M.B. relate ainsi : « j’ai été dans cette école à l’époque où les profs (hommes vous vous en doutez bien), entre eux, n’appelaient pas les étudiants/es non par leur prénom mais par un numéro selon des critères physiques. Ce n’est qu’une malheureuse anecdote parmi tant d’autres mais par là, je tiens à vous remercier de faire bouger les choses ! Faut que ça cesse, c’est trop malsain dans cette école ! » M.L.G. abonde : « bravo ! Vraiment bravo. des témoignages on en entends souvent. Et enfin ça parle, enfin c’est dévoilé. Parler c’est trop important et c’est ce qui fait avancer les choses. Il y a de la honte qui se traîne dans les couloirs et il est temps d’y mettre un terme. »

Mais pour les lanceurs d’alerte, le combat ne fait que commencer. « Depuis la parution hier à 10h00, on a aussi reçu une dizaine de messages privés… ils étayent notre sentiment, tous déclarant ne pas être étonnés de ces révélations ou précisant avoir eux-mêmes eut échos de ces problématiques. D’autres écoles d’art sont aussi présentes, comme Bourges, Lyon, ou Aix-en-Provence. Rendre l’affaire publique en utilisant le net, c’est aujourd’hui le meilleur moyen de se faire entendre pour qu’enfin les choses changent. La mobilisation prend de l’ampleur, et on espère bien continuer en ce sens jusqu’à obtenir une réelle considération et des suites concrètes. »

Une institution multicentenaire, au cœur d’un scandale.
Du côté des perspectives internes, les espoirs sont cependant vite balayés par nos contacts. « Nous n’avons pas confiance en l’I.S.B.A. pour examiner cette question sensible. Plusieurs membres de l’équipe pédagogique sont parallèlement visés, dont un responsable. Selon nous, ce dernier a non seulement couvert les actes graves ici développés, mais à ce stade il est aussi accusé de harcèlement sexuel commis à partir de juin 2018. » Une plainte a été déposée le dimanche 13 septembre dernier au commissariat de Besançon, dont nous nous sommes procuré la copie. Les allégations citent nommément le professeur, mais aussi le cadre pour ces motifs.

Sollicités, les mis en cause n’ont pour l’instant pas répondu à nos demandes. L’héritière de l’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée par Jean Wyrsch et Luc Breton au XVIIIe siècle, n’a pas l’habitude des polémiques. Et les proportions que prennent « l’ISBAgate » inquiètent dans ce milieu où tout le monde se connaît. À l’instar d’un salarié, qui n’apparaît pas mêlé aux abus. « Je ne souhaite pas prendre partie, j’ai autant de proches chez les encadrants que les élèves. Il m’est donc compliqué d’adopter ce qui paraîtrait pour les uns ou les autres la bonne attitude. Mais effectivement, j’espère le cas échéant que c’est la Justice qui se prononcera… pas la foule. »


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