À la Préfecture du Doubs, le ballet des manifestations interdites
En moins de cinq ans, dans le département du Doubs ce sont pas moins de 137 interdictions de manifestations qui ont été recensées par nos soins. Depuis l’engagement du double quinquennat d’Emmanuel Macron, les arrêtés préfectoraux interdisant des manifestations sont devenus monnaie courante. Si l’essentiel des arrêtés concerne la période gilets jaunes de fin 2018 à début 2020, on constate que le procédé n’a pas disparu… et qu’il s’est même étendu à diverses protestations sociales, ainsi qu’aux rave-partys et aux supporters de football.
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17 novembre 2018, un premier pavé dans la marre.
137 manifestations, c’est à minima le nombre sur lequel autant d’interdictions formelles ont été promulguées par la Préfecture du Doubs depuis le 14 mai 2017. Un décompte qui apparaît après avoir analysé l’ensemble des registres disponibles, excluant de nombreux arrêtés spécifiques (couvres-feux, crise sanitaire…), analogues (artifices, essence, alcool, armes par destination, drones…) ainsi que les prohibitions de fait (comme observées les 8 mars et 1er mai derniers). Avant cette date, ces mesures furent localement très exceptionnelles. Une majorité a été appliquée au plus fort du mouvement des gilets jaunes, entre le 1er décembre 2018 et mi-mars 2020.
À l’époque c’est Joël Mathurin qui dirigeait l’administration, avec pour mission assumée de contenir les protestations. Ronds-points, péages, bourgs ruraux, voies majeures, espaces industriels, zones commerciales, hypercentres urbains, jusqu’aux abords de commissariats et prisons, seront, parfois durant plusieurs mois consécutifs, purement et simplement proscrits. Une optique initiée sous François Hollande lors de l’opposition à la loi travail en 2016, touchant de manière inédite à une liberté alors jugée absolue. L’exception deviendra la règle dans le sillage du 17 novembre 2018, à travers une centaine de décisions dédiées pour le seul département.
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Une extension aux champs politiques et festifs.
Mais la disparition progressive des fameux chasubles, la gestion de la pandémie et la succession de Jean-François Colombet en juin 2021 n’entérine pas la pratique, qui perdure et s’étend. Après une période 2015-2016-2017 de complète inanité puis un pic de dix-sept en 2018 et surtout quatre-vingt restrictions en 2019, la courbe redescend mais sans jamais plus être nulle : huit en 2020, deux en 2021, treize en 2022, déjà quatorze pour la moitié de l’année 2023. Pass sanitaire, loi sécurité globale, visites présidentielles, luttes environnementales, manifestations contre les violences policières, se retrouvent ainsi frappées d’une même sentence, avec sept illustrations entre décembre 2020 et juin 2023.
Dans ce laps de temps, de nouvelles catégories entrent rudement dans la ligne de mire des autorités. Ainsi les festivals de musiques alternatives souffrent aussi de cette doctrine, avec déjà vingt-et-une rave-partys visées en seulement quinze mois. Les supporters de football ne sont pas en reste, ce petit monde dénonçant une « banalisation » documentée dès 2019 ; si des chiffres précis sont parfois difficiles à obtenir, au moins trois suspensions de réunions, déplacements ou entrées dans les stades ont été signifiées depuis 2022 concernant Sochaux. Pour ces deux derniers cas de rares précédents existent, mais jusqu’alors jamais ces proportions n’avaient été atteintes.
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Un temps, que les moins de vingt ans…
La Préfecture du Doubs aurait-elle la main un peu lourde, ou s’inscrit-elle dans une conjoncture nationale ? Pour toute une cohorte de militants politiques, syndicaux et associatifs, la dégradation actuelle est inédite mais attendue. « Jusqu’au milieu des années 2010, un tel basculement était encore impensable. Les interdictions renvoyaient à des crises extrêmes, enfin même là tout n’était pas aussi verrouillé ! Avec l’avènement d’un état d’urgence permanent en 2016, un collectif s’était créé afin d’alerter sur le sujet… sept ans plus tard, nos craintes sont devenues la norme. Les droits ne résistent que lorsqu’on les défend, c’est aussi limpide que ça ! » abonde Michel Boutonnet.
Parfois publiées quelques heures avant l’événement voir même après comme en juillet 2019, ces mesures ne semblent plus avoir d’effets dissuasifs dans la rue… ainsi que l’a récemment démontré le maintien de divers cortèges, comme le 30 mars en soutien au collectif des Soulèvements de la Terre et le 30 juin 2023 suite à la mort de Nahel Merzoug, tué par un policier. Autre réalité non-négligeable, le front des recours juridiques : à ce jour le tribunal administratif de Besançon n’aurait été saisi qu’une seule fois, lors de la visite d’Emmanuel Macron au fort de Joux le 27 avril dernier ; avec pour résultat, le retrait discret du document litigieux, in-extremis avant son examen par les juges.
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