Clairvaux-les-Lacs : « Autant que la haine, c’est l’indifférence qui tue »
26 juin 2023
Toufik-de-Planoise (97 articles)
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Clairvaux-les-Lacs : « Autant que la haine, c’est l’indifférence qui tue »

La tension redescend difficilement depuis quinze jours dans le Haut-Jura, après une campagne de haine inédite. Salie par une vague de prospectus néonazis, la population rurale du bourg a souhaité refermer ce sinistre épisode par un front commun contre ces doctrines. Ce samedi matin au pied du monument aux morts de Clairvaux-les-Lacs, environ deux-cent personnes étaient présentes en ce sens. Mais plus que les symboles et mobilisations, la Terre d’Émeraude entreprend également un examen de conscience difficile. Car si les velléités les plus insoutenables ont été unanimement condamnées, la porosité grandissante avec l’extrême-droite est bien au centre des interrogations.
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Ami, entends-tu.
Entre l’église Saint-Nithier et le monument aux morts, la place du Huit Mai 1945 est singulièrement animée ce samedi 24 juin à 11h00. Auprès des patronymes autochtones tombés au champs d’honneur, on lit celui du soldat Hassine Ben Salah Ben Brick. « Il faisait partie du 4e régiment de tirailleurs Sénégalais, mort pendant la Libération de la ville. Notre héritage c’est aussi cela, certains ne devraient pas trop vite l’oublier » tance un organisateur. Autre allusion emblématique, l’affiche du 18 juin, synthétisant le discours du Général Charles de Gaulle, a été introduite en plusieurs lieux. « Dans l’univers libre, des forces immenses n’ont pas encore donné » proclame t-elle.

Le chant des partisans est entonné par les quelque deux-cent personnes présentes, dans une envolée aussi solennelle que populaire. Une démonstration largement réussie à cette échelle, même si jeunes et familles sont restés discrets. Les officiels se voulaient plus visibles, comme le maire de Onoz Jean-Noël Rassau : « J’ai mis mon écharpe, mais je suis d’abord là en tant que citoyen. Les valeurs républicaines sont au-delà des mots un idéal, qui doit être défendu. » Avec l’ancien et la nouvelle première magistrate de Clairvaux-les-Lacs, les élus municipaux ou régionaux s’affirment ; seule fausse note remarquée, aucun dignitaire préfectoral ou étatique n’a daigné répondre.
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La place du Huit Mai 1945, avec l’affiche du 18 Juin – TdP.

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Entre mémoires et actualités.
Associations chrétiennes, amicales de combattants et résistants, jusqu’aux mutualistes et à la franc-maçonnerie appelaient à ce rassemblement… rarement un parterre de signataires n’aura été aussi pléthorique et varié, à fortiori dans une petite commune du cru. Engoncé au cœur du Jura, le bourg vit au rythme de ses marques ancestrales et d’un tourisme estival florissant. Mais le 10 juin 2023 cette tranquillité volait en éclat, lorsque des dizaines de riverains ont retrouvé des tracts aux relents explicitement néonazis dans leur boîte aux lettres. Un incident qui a immédiatement suscité la stupeur, dans une région habituellement éloignée des controverses… une image d’Épinal ?

« Je suis heureuse de vivre dans un canton qui exalte ainsi les symboles, mais est-ce que la population comprend et s’en approprie le sens ? bien sur il ne faut pas exagérer les menaces, la Wehrmacht n’est pas à nos portes. Mais ce n’est jamais par hasard que les Loups rôdent, prêts à s’emparer du pouvoir et de nos vies si l’histoire leur en donne l’occasion. Ils se nourrissent avant tout de nos peurs, ainsi que de l’individualisme ambiant. Quand les mots solidarités et communautés ne signifient plus rien, c’est là que le danger se précise » développe une paysanne retraitée, sympathisante communiste et fine connaisseuse des Maquis de l’Ain et du Haut-Jura.
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Vue aérienne de Clairvaux-les-Lacs, en 2017 - Parrad.adrien.

Vue aérienne de Clairvaux-les-Lacs, en 2017 – Parrad.adrien.

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Les connivences locales, pointées du doigt.
Car au-delà des faits eux-mêmes, certains habitants mettent également en cause l’émergence d’un contexte propice à ces actes. À l’instar de trois anciens du village, qui nous interpellent : « On sait qu’ici, certains entretiennent d’importantes accointances nationalistes. C’est par exemple le cas d’un restaurateur bien implanté, dont les idées et les entourages sont parfaitement connus. N’oublions pas que Marine le Pen est aussi venue début 2017, malgré l’opposition de l’ancien édile Alain Panseri et la tenue d’une manifestation de protestation. Mais combien de futurs responsables étaient dans les rangs du RN, où était [l’actuelle maire] Hélène Morel-Bailly à ce moment là ? »

À l’époque l’extrême-droite tente en effet de provoquer la polémique, après que le conseil municipal ait souhaité l’accueil de deux familles réfugiées. Une agitation politico-médiatique orchestrée par un certain Raphaël Goiset, alors ex-responsable du Front National de la Jeunesse pour le département… depuis condamné pour conduites en état d’ivresse et violences conjugales, ainsi qu’une tentative de meurtre. Originaire de Clairvaux-les-Lacs, le jeune homme de vingt-six ans avait été investi en quatrième place sur la liste frontiste d’Hervé Ripart pour les municipales de 2014. Avec 104 bulletins soit 14,05 % des voix, ni second tour ni élus ne furent en perspective.
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Associations d'anciens combattants et résistants étaient là, drapeaux en berne devant le monument aux morts.

Associations d’anciens combattants et résistants étaient là, drapeaux en berne devant le monument aux morts – TdP.

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« Si on ne recadre pas maintenant, jusqu’où ça ira la prochaine fois ? »
En 2020 la tentative électorale ne se renouvelle pas, la liste sans étiquette qualifiée de divers droite « Agir Autrement » raflant la mairie dès le premier tour. Mais plus que jamais la vigilance reste de mise, un de nos seniors le martelant : « Certes les protagonistes cités n’ont pas de liens directs avec les imprimés néonazis, mais il faut en tirer les leçons. Quand les digues les plus fondamentales sautent, que tout les discours sont mis sur un même plan, ou qu’on se laisse porter par l’air du temps, cela produit des résultats. Les nervis qui agissent encore dans l’ombre, ils le font car le climat le permet… alors si on ne recadre pas maintenant, jusqu’où ça ira la prochaine fois ? »

Une volonté palpable de front commun, qui se heurte toutefois à la réalité du terrain. « Lorsque nous déambulions au marché afin d’annoncer la manif’, les gens étaient réceptifs. Mais sur dix personnes, vous en aviez toujours deux-trois qui vous repoussait en disant qu’il y’en a trop [d’étrangers]… c’est aussi une réalité » expose Lakdar Benharira, Président de SOS Racisme Jura. Puis d’analyser, à l’instar d’autres références rencontrées : « Je croise assez peu de Clairvaliens aujourd’hui, les participants sont surtout issus de la ruralité environnante. Tout le monde est au courant de cette date, alors comme interpréter leur absence ? Autant que la haine, c’est l’indifférence qui tue. »
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Lakdar Benharira, Président de SOS Racisme Jura.

Lakdar Benharira, Président de SOS Racisme Jura – TdP.

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Une opération commanditée depuis le Pays du soleil levant.
Si la distribution des documents litigieux a été réalisée par des partisans probablement comtois, la matière a quant à elle été fournie clé en main par une plateforme fasciste. La croix gammée en en-tête, ces écrits se sont ainsi répandus partout en France comme dernièrement en Seine-Maritime et dans le Finistère… lesquels exhortent les « compatriotes de race blanche » à viser Juifs, Immigrés et LGBTQIAP+. Un temps censuré, le site en question est depuis réapparu sur la toile par le truchement de noms de domaine alternatifs et d’hébergements propices aux États-Unis. Mais son administrateur n’en est pas moins clairement désigné, en la personne du français Boris le Lay.

Réfugié au Japon pour échapper à la justice, l’intéressé cumule désormais une quinzaine de condamnations et plus de onze années de prison fermes. Un cursus qui lui vaut l’émission de mandats d’arrêt internationaux, pour l’instant sans effets faute d’accords d’extradition. Plusieurs plaintes ont été déposées suite aux infractions commises à Clairvaux-les-Lacs, mais la plupart des victimes se disent stupéfaites par la situation. « Cela fait plus de dix ans que ça dure, il serait peur-être temps que les autorités agissent… encore faudrait-il que la France veuille mettre les moyens et fasse pression ! » s’emporte ainsi Daniel Bordür, fondateur et dirigeant du média indépendant Factuel.info.
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