Besançon : les antimilitaristes ne désarment pas
Guerre à la guerre ! pouvait-on entendre vendredi dernier, dans les rues presque désertes de Besançon. Si les commémorations du 11 novembre sont habituellement synonymes de recueillement et de ferveur nationale, quelques irréductibles escomptaient bien ne pas limiter leur indignation à la seule horreur des combats. Un sentiment antimilitariste assumé et vivace depuis plusieurs décennies, dans une ville où la grande muette est encore particulièrement présente. Avec pour icône le soldat Lucien Bersot, fusillé pour l’exemple après avoir refusé d’enfiler un pantalon ensanglanté prélevé sur un cadavre. Quant à la cérémonie institutionnelle, elle s’est bien tenue aux Glacis ; avec une polémique inattendue, puisque des militants de l’Action Française ont pu ostensiblement participer à la communion..
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« Pas de guerre entre les peuples, pas de paix entre les classes. »
Ils sont une vingtaine à s’être réunis rue Bersot, dans le centre historique de Besançon. Une opération désormais inscrite dans le paysage traditionnel local, où les participants expriment leur hostilité aux guerres, mais aussi à l’armée, à l’industrie militaro-industrielle, et à toutes les nouvelles formes d’endoctrinement dont le récent Service National Universel (SNU). « Les anarchistes ne cesseront jamais de dénoncer et de lutter contre l’armée – qu’elle soit de conscription, de métier ou populaire – les marchands d’armes, les nationalistes, les États et les systèmes économiques générateurs d’oppression et de logique guerrière » résume un discours. Plusieurs airs révolutionnaires et communards sont interprétés par une chorale, dont La Butte rouge, Giroflée Girofla, ou La Chanson de Craonne.
« Pas de guerre entre les peuples – pas de paix entre les classes » proclame une banderole, en ces temps où le conflit russo-ukrainien est au cœur de l’actualité. « C’est quand même dommage de ne pas voir plus de monde aujourd’hui avec nous, même si le soulèvement particulier sur ce cas est évidemment compréhensible. Il y a des conflits dont les tenants sont plus ou moins dégueulasses, mais c’est le principe et les conséquences dans leur ensemble qu’il faut dénoncer ! » assume une jeune retraitée. Libertaires, trotskystes, libres-penseurs, sous l’égide de la Fédération Anarchiste/Groupe Proudhon, se mobilisent donc chaque 11 novembre pour faire vivre ces convictions. Difficile de savoir depuis quand exactement cette date existe, « quinze à vingt ans » nous confirment les plus anciens.
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Lucien ou François-Louis.
« L’idée de ce rendez-vous, je ne sais plus trop comment elle est venue. Toujours est-il que nous avions choisi la rue Bersot, car à l’époque nous pensions qu’il s’agissait d’une référence à Lucien (soldat fusillé pour l’exemple) et non à François-Louis (industriel et bienfaiteur). Ça avait du sens donc, puis on se disait que la Municipalité avait quand même fait un petit geste. Quand l’imbroglio est apparue, la déception était là bien sur. Nous avons fait une pétition afin d’obtenir une reconnaissance, qui a rapidement mobilisée. Finalement une plaque a été apposée à la maison du Peuple en 2009, pour Lucien Bersot et son camarade Elie Cottet-Dumoulin. Mais cela nous paraît insuffisant, c’est pourquoi nous demandons inlassablement que cette voirie soit rebaptisée comme il se doit » rappelle un militant.
Une volonté de féminisation et de diversification des odonymes a certes été opérée par la Mairie, avec des dénominations annoncées pour Samuel Paty, Shireen Abu Akleh, ou encore Mahsa Amini. Un effort toutefois incomplet pour certains, puisque nombre de figures sociales et ouvrières à fortiori locales manqueraient cruellement dans ce panorama. « Le cas de Lucien Bersot est assez emblématique, car les pouvoirs publics nous répètent qu’il n’est pas envisageable d’accéder à cette demande à cause d’un certain équilibre à respecter. Il y a pourtant des dizaines de généraux, de régiments, de batailles et de régions sinistrées qui ont leurs rues et places. Ce n’est pas possible de lui en accorder une ? Le sujet est important, car lutte des idées passe aussi par là ! » avance un interlocuteur.
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Désobéissance, désertion, démoralisation…
Le cortège a pu librement œuvrer, y compris en procédant au changement symbolique des panneaux de signalisation jusqu’au niveau de la caserne Ruty. « Ici globalement, on nous a toujours foutu la paix dans nos mouvements » précise un des organisateurs. Mais arrivés au pied de la rue Battant, d’autres souvenirs refont surface : « C’est vrai que régulièrement, les flics sont dépêchés sur place à peine débarqués dans le coin. C’est juste la fin de notre parcours, mais les intéressés préfèrent mettre en place un dispositif de surveillance voir de blocage. Il y’a quelques années, nous avions ainsi été purement et simplement interdits de nous rendre au-delà de la place Jouffroy d’Abbans. Les notables et braves citoyens avaient visiblement peur que nous ne montions à la gare, pour perturber leurs offices. »
Encore aujourd’hui en France, l’activisme antimilitarisme est lourdement réprimé par la loi. Selon le code pénal et le code de justice militaire, toute forme de « provocation à la désobéissance », de « favoritisme à la désertion », ainsi que « d’entreprise de démoralisation de l’armée », est passible d’une peine d’emprisonnement allant de trois ans à la perpétuité avec des amendes prohibitives suivant les auteurs et contextes. Un arsenal encore régulièrement activé, lors de crises majeures comme durant la répression coloniale de l’Algérie ou de façon plus chronique à l’image des poursuites intentées en 1996 contre France Inter pour avoir diffusé La médaille du chanteur Renaud. Mais en Franche-Comté depuis les années 1980 et les comités de soldats, aucune inculpation de ce genre n’a été documentée.
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Chez les officiels, l’Action Française en guest star.
En effet une cérémonie institutionnelle se déroulait par ailleurs au parc des Glacis, en principe pour commémorer la 104ème année de l’armistice. Mais si les autorités appelaient bien à la préservation de la paix, l’armée nationale et les corps sécuritaires civils étaient pourtant aussi à l’honneur dans une ambiance pour le moins solennelle et martiale. Le Préfet Jean-François Colombet, la Maire Anne Vignot, les députés Laurent Croizier et Éric Alauzet, le sénateur Jacques Grosperrin, ou encore le conseiller régional Ludovic Fagaut, figuraient parmi ces représentants et élus encensant les anciens combattants, militaires, gendarmes et policiers. Après les discours, hommages et décorations, une trentaine d’élèves du collège Louis Lumière entonnaient la Marseillaise.
Jusqu’à la pose de diverses gerbes, sous l’égide d’une concorde républicaine apparemment très large. Il s’est avéré que plusieurs membres de « l’Action Française Besançon » ont également déposé un bouquet de fleurs à leur nom, à priori sans susciter la moindre réaction de l’encadrement ou de tiers. Cette mouvance, connue pour ses doctrines racistes, antisémites et xénophobes, qui avait bercée dans la collaboration avec l’occupant nazi, s’est récemment implantée dans la capitale comtoise. Alors que les incursions antimilitaristes ou critiques continuent de constituer une véritable crainte, la communion avec ce groupuscule a été permise par sa présence et sa participation active à l’événement. Une situation étonnante, qu’aucun contact sollicité n’a finalement voulu commenter.
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