À Lyon, un front commun contre l’extrême-droite
Ils étaient plusieurs centaines de manifestants réunis ce samedi 29 mai dernier à la Croix-Rousse, déterminés à marquer un front contre l’extrême-droite après plusieurs agressions racistes et politiques dans le quartier. Une violence déjà périodique devenue récurrente au fil des années, et qui s’est dernièrement à nouveau abattue contre une librairie associative et anarchiste. Une situation à ce point significative que Lyon est désormais un cas d’école en la matière, dont les parallèles avec le panorama en Bourgogne/Franche-Comté sont d’ailleurs marqués.
« L’extrême-droite, c’est le harcèlement et la violence au quotidien. »
Nous nous attardons au sein de « la Plume Noire », quelques heures avant le départ du cortège. L’organisation fait bien sur partie des initiateurs de l’événement, d’autant plus que la librairie anarchiste et ses acteurs sont régulièrement visés par des groupuscules radicaux. L’après-midi du 20 mars dernier, une trentaine d’assaillants cagoulés s’étaient effectivement regroupés afin de vandaliser les vitrines de l’établissement. Après d’autres précédents dont le 21 novembre 2016, une mobilisation de soutien était ainsi annoncée le 3 avril mais finalement interdite par la Préfecture.
Cette fois la liberté de manifestation a été accordée, l’ensemble de la Croix-Rousse se préparant dés lors à cette date. Car, au-delà de l’institution libertaire présente depuis dix ans rue Diderot, ce sont bien aussi les riverains et commerçants du secteur qui souhaitaient pour certains exprimer leur lassitude et leur ras-le-bol de la situation. La manifestation féministe du 7 mars, la marche des fiertés lesbiennes le 24 avril, le siège de Radio Canut le 1er mai, sont autant d’exemples récents des attaques perpétrées par les mouvances identitaires, nationalistes, et néonazies.
Plusieurs méfaits marquants, auxquels s’ajoutent les descentes nocturnes récurrentes contre les locaux de la CNT, du PCF, ou du centre LGBTI+, ainsi que les agressions racistes et politiques. Nous rencontrons Julien, qui décrit ce climat délétère. « L’extrême-droite, c’est le harcèlement et la violence au quotidien. JNR, Œuvre française, Bastion social, Génération identitaire, ont certes été dissous. Mais ils se maintiennent sous d’autres noms, comme l’Agogée et la Traboule. Si la plupart des structures ont disparu, les formations et individus sont ainsi toujours là. »
La Bourgogne/Franche-Comté en parallèle.
Une montée qui irait crescendo, véhiculée par un contexte socio-politique qui se dégrade. Notre interlocuteur note une multiplication des actes depuis ces dernières années, mais aussi une forme d’impunité latente. « À notre connaissance, aucun protagoniste n’a été inquiété. Les Autorités semblaient davantage occupées à prohiber la marche antifasciste, plutôt qu’à retrouver les responsables et stopper ce type de velléités. Nous n’avons jamais compté sur les Pouvoirs Publics pour défendre nos intérêts, mais là leur distorsion de la réalité devient trop flagrante. »
Syndicats, partis, collectifs, associations, se sont donc attachés à mettre en place une coordination unitaire à cette occasion. « Certains élus ont exprimé leur solidarité, c’est à souligner. Mais concrètement, bien peu se mouillent à la tâche. Et alors que les prochaines échéances présidentielles approchent, les digues sautent et les brutalités s’épanouissent. Dans l’indifférence générale. Du coup plutôt que d’attendre je ne sais quoi de je ne sais qui, on compte surtout sur les groupes militants et la population. C’est là notre force et notre salut. Travailler sur le terrain et assumer une autodéfense populaire. »
À mesure que le récit avance, des similitudes sautent aux yeux. La Bourgogne/Franche-Comté avait également connu plusieurs affaires, de l’assaut contre la librairie l’Autodidacte le 17 octobre 2015, aux offensives dans les bars comtois en 2019-2020, jusqu’aux commandos de Chalon-sur-Saône le 18 décembre 2020 et Dijon le 31 janvier 2021. C’est aussi là que des figures radicales se sont implantées, après avoir été spécialement formées sur Lyon. Et encore ici que le Rassemblement National escompte gagner les prochaines régionales, comme l’assurait Marine le Pen le 25 mai.
Plusieurs centaines de manifestants reprennent la rue.
C’est à partir de cette toile de fond édifiante et généralisée que l’appel du jour est d’autant plus assuré, les participants commençant à se retrouver massivement dés 15h00 place de la Croix-Rousse. L’ambiance est à la fois déterminée et festive, à l’image de banderoles percutantes et colorées déployées en plusieurs points. Un service d’ordre significatif mais discret se met en place, les casques et protections étant de rigueur. Peu avant le départ nous avons comptabilisé environ un millier de personnes, mais 750 d’après la police et jusqu’à 1 500 pour la Jeune Garde.
Au milieu des drapeaux rouges, LGBT, et anarcha-féministes, ainsi que des applaudissements qui fusent depuis les balcons et fenêtres, « siamo tutti antifascisti » – célèbre slogan italien – résonne largement dans les rues du 4e arrondissement. Plusieurs arrêts s’amorcent devant les emplacements sinistrés, les prises de parole rappelant notamment que « les fascistes ne seront jamais du côté des travailleurs. » Le dispositif policier est resté sobre jusqu’aux « pentes », avant de considérablement gonfler aux abords de la destination prévue place des Terreaux. Sans accroc.
Pour les manifestants, la réussite est palpable. « Nous nous devions de reprendre la rue, afin de démontrer que la majorité des gens est avec nous. La peur doit changer de camps, nous ne nous laisseront pas intimider par ces néonazes » indique une jeune queer. Un adhérent de la France insoumise abonde : « il y’a certes un ralliement le 12 juin prochain. Mais face aux fachos, il faut aussi s’élever ici et maintenant. Aujourd’hui nous voulions collectivement leur signifier que leur exactions ne suffiront pas à nous casser, et qu’ils nous trouverons toujours sur leur route. »