La chasse, un risque constant pour les promeneurs dans le Doubs
28 novembre 2017
Rédaction Radio BIP (350 articles)
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La chasse, un risque constant pour les promeneurs dans le Doubs

Auteurs : Geraud Bouvrot


 

Capture écran vidéo

[dropcap]U[/dropcap]ne vidéo tremblante, dans laquelle on entend aboyer, au loin, des chiens en meute. C’est tout ce qu’on peut voir dans la vidéo de Martine, mais elle témoigne d’une toute autre chose. La protagoniste a eu le malheur de se promener à la lisière de son village avec son chien. Elle est saisie de frayeur lorsqu’elle se retrouve à proximité d’un chasseur qui semble tirer dans sa direction.

Son récit: « Une petite vidéo très agitée car je rentrais un peu tremblante, vous pouvez entendre les chiens en chasse… Résumons la situation, hier je tombe sur un braco en train de chasser dans les bois de Lombard (vendredi est jour sans chasse dans le Doubs théoriquement), il s’est sauvé, et moi aussi mais j’ai eu peur ! Aujourd’hui, je me fait tirer dessus en sortant mon chien, je n’ai rien, mais résumé flippant : 2 routes parallèles et des champs entre les 2 ou courent une laie et son tout petit marcassin, poursuivis par des chiens. un chasseur sur la route du bas, moi sur celle du haut, dans l’axe. le chasseur tire sur sur le sanglier, donc dans ma direction, celle de la route et du village, c’est formellement interdit. Il a loupé tout le monde, heureusement. Humanimo va agir, de même que la mairie car un chasseur a menacé une conseillère municipale, plainte a été déposée. »

L’association Humanimo (dont Martine fait partie), contacte alors les fédérations de chasse locales (ONCFS Doubs, FDC Doubs) pour faire part de cet incident, qui est loin d’être isolé dans la région. La lettre en question regroupe des constats de braconnage, de chasse en dehors des jours réglementaires, pendant la nuit, à proximité des maisons, ou encore sur une réserve de chasse (1).

Pour la saison 2015-2016, les accidents relatifs à la chasse s’élevaient à 146. Ils se produisent principalement lors d’une chasse au gros gibier, et la grande majorité des victimes sont des chasseurs. Parmi les 146 victimes, 10 ont été tuées, dont 2 étaient non-chasseurs (2). Si la tendance globale de ces accidents est en baisse, le débat autour de la chasse et de sa dangerosité est toujours vif.

Chasse et sécurité, compatible ?

L’obligation de sécurité est mise en avant par tout le monde, chasseurs et non-chasseurs. Des règles existent déjà, quant aux jours et zones autorisées en particulier. Mais elles ne sont pas toujours respectées. Comme en témoigne la lettre de Humanimo, les contrevenants peuvent parfois menacer ceux qui constatent leurs actes. De plus, le Rassemblement pour une France sans chasse montre que « Le sentiment d’insécurité des usagers de la nature n’est pas exagéré : il n’existe aucun contrôle médical ou alcoolémie des chasseurs en France, alors qu’ils utilisent des armes pouvant tuer à 3 kilomètres » (3). Au delà des discussions sur la dangerosité de la chasse, certains s’interrogent même sur son utilité.

Ainsi François Darlot, de la RAC, interrogé par le journal Lutopik (4), pense que la chasse n’est pas une nécessité vitale. Les opposants à cette activité sont choqués par le droit de sortir armé, pour chasser et tuer par plaisir. Un chasseur leur répond: s’il ne nie pas la dimension de loisir, il insiste sur l’utilité de la chasse. Son rôle serait de réguler la population animale, sans quoi celle-ci serait trop nombreuse et entraverait les activités humaines (agriculture et sylviculture notamment). Mais là encore, la question fait débat.

La régulation des populations sauvages

L’argument de régulation de ces populations sauvages est par exemple remis en question lorsqu’il est évoqué l’agrainage, pratique consistant à nourrir les sangliers: or ce sont les gibiers qui font le plus de dégâts là où ils passent. De plus, certains animaux comme les faisans proviennent bien souvent d’élevages, avant d’être lâchés dans la nature. Une partie d’entre eux peuvent être introduits dans des réserves de chasse, afin qu’ils se développent, tandis que d’autres sont chassés quelque temps à peine après avoir été lâchés. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas ici de populations sauvages, autonomes, que les chasseurs réguleraient si besoin. La dimension de plaisir est donc majeure dans ces exemples, et peut largement dépasser l’argument de la régulation. Cependant, au delà de ces considérations, il est bon de connaître la réalité de ces populations animales. Ainsi, la population de sangliers a été multipliée par 5 en Europe entre 1990 et 2010: leur importance dans les trophées de chasse a donc suivi. Si l’agrainage, les lâchers d’animaux ou encore les croisements (comme le cochonglier, croisement entre un cochon et un sanglier) participent à cela, la cause principale est ailleurs. Il s’agit de l’expansion des cultures de maïs, depuis les années 1960: en plus d’être très apprécié par les sangliers, il accroît la fertilité des laies (qui peuvent ainsi mettre bas deux voire trois fois dans l’année, au lieu d’une seule habituellement).

Sanglier – photo Wikipedia

Face à cet accroissement de population, pour le cas des sangliers en tout cas, l’importance d’une régulation semble admis. Si les pratiques des chasseurs ont tendance à biaiser leur discours de régulation, ces mêmes pratiques peuvent avoir d’autres utilités que le développement des populations — ainsi l’agrainage, lorsqu’il ne donne que peu de nourriture aux animaux, vise surtout à maintenir ces mêmes animaux sur le territoire de telle association de chasse, étant entendu que la finalité est d’avoir des animaux à tuer. Mais régulation ne rime pas forcément avec chasse. Ainsi, l’exemple de Genève est révélateur d’autres moyens d’action. La chasse y étant interdite depuis 1974, les populations d’animaux sont régulées par des fonctionnaires. Le but est de maintenir une population stable, dont le nombre n’excède pas ce que peut leur offrir la forêt. Cet argument fait mouche en France, où les sangliers, trop nombreux, font souvent parler d’eux lorsqu’ils arrivent dans des zones habitées (avec, à Besançon, de récentes incursions dans la rue de Vesoul par exemple (5)), ou lorsqu’ils saccagent des cultures (même si les dommages doivent être remboursés par les associations de chasse).

Les Genevois ont donc confié la régulation à des fonctionnaires. Ils disposent de tout un panel d’outils permettant de circonscrire une population dans une zone précise — l’agrainage en fait partie, permettant d’attirer les animaux dans telle direction. Les exécutions ne sont pas proscrites, mais elles sont employées en dernier recours. Lorsque des animaux doivent être abattus, les fonctionnaires s’inspirent de la régulation naturelle: à la manière des prédateurs, ils exécutent en priorité les bêtes malades et/ou infirmes, ce qui n’handicape pas les animaux restants et les renforce même. Dans la même logique, les femelles allaitantes sont protégées. Ces pratiques existent également en France: mais leur respect semble plus méthodique chez des fonctionnaires dont c’est la mission, plutôt que chez des chasseurs qui peuvent être tentés d’abattre les animaux les plus gros, pour en faire des trophées.

En plus de sa dangerosité et de son utilité discutée, l’on reproche également à la chasse son caractère exclusif par rapport aux autres activités de plein air, en particulier le dimanche. Ainsi, un sondage mené par l’IFOP du 4 au 7 janvier 2016 révèle que 79 % des Français sont favorables à l’arrêt de la chasse le dimanche (6). Sont mis en avant la minorité numérique des chasseurs qui, étant moins d’un million d’individus, s’approprient pendant une longue période de l’année des espaces de plein air au détriment de quelques 15 millions de randonneurs, 2 millions de cavaliers, et autres promeneurs. Dernièrement, la forêt d’Is-sur-Tille, vient d’être privatisée par les chasseurs pour 22 dimanches consécutifs. Les promeneurs, cyclistes ou joggeurs, seront interdits d’accès dans la forêt suite à un arrêté pris par la municipalité, à la demande de la société de chasse, nous l’apprend France Bleu dans un article du 26 novembre  (7)

La loi sur la biodiversité et la chasse

Au niveau politique, le projet de loi de 2016 sur la biodiversité comprenait des éléments relatifs à la chasse (8) . Si une partie des propositions ont été adoptées (comme la création d’une Agence Française pour la Biodiversité), d’autres ont été déclinées, suite notamment aux pressions du Groupe d’études Chasse et pêche (transcendant les courants politiques, ce groupe compte 84 membres sur 348 sénateurs). Ainsi, l’interdiction de la chasse aux oiseaux à la glu ou à la colle, comme l’interdiction de chasser les mammifères en période de reproduction, auparavant acceptées par les députés, n’ont pas été approuvées au Sénat. Au final, les décisions de politique nationale portant sur la chasse vont plutôt dans le sens des chasseurs, comme en témoigne l’importance du Groupe d’études Chasse et pêche du Sénat et du Groupe d’études Chasse et territoires de l’Assemblée, le rétablissement de la chasse le mercredi par la ministre Roselyne Bachelot en 2003 (9) ou encore la promesse faite en 2017 par la ministre Ségolène Royale d’empêcher le débat public sur l’interdiction de la chasse le dimanche (10).

Enfin, un retournement de situation de la part de notre gouvernement actuel semble peu probable. Alors qu’il état candidat, Emmanuel Macron avait fait jaser en parlant de rétablir la chasse présidentielle: une chasse réservée aux grands de ce monde, héritée de la monarchie française et dont Nicolas Sarkozy avait annoncé la fermeture. Là où la majorité des chasseurs pratiquent une activité populaire, et mettent en avant un argument de régulation dont les fondements sont bien réels, cet événement est l’apanage d’élites, visant avant tout le plaisir. Mais rassurons-nous: cette chasse présidentielle serait « uniquement pour les intérêts de la France » (11).

 

Sources


(1)Le communiqué de Humanimo
ONCFS-FDC-situation-cahsse-Lombard-25440

(2) http://www.oncfs.gouv.fr/Chasser-dans-les-regles-ru18/Bilan-des-accidents-de-chasse-2015-2016-news1867
(3) http://france-sans-chasse.org

(4) « La chasse, entre régulation et déséquilibres », Lutopik n°15, été 2017, p.32-34.

(5) http://www.estrepublicain.fr/edition-de-besancon/2017/11/05/des-sangliers-s-aventurent-rue-de-vesoul
(6) https://www.notre-planete.info/actualites/4400-interdiction-chasse-dimanche
(7) https://www.francebleu.fr/infos/societe/la-foret-d-sur-tille-interdite-aux-promeneurs-les-dimanches-jusqu-a-la-fin-de-la-saison-de-chasse-1511519833
(8) http://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2016/01/26/biodiversite-le-senat-vote-une-loi-ecornee-par-le-lobby-des-chasseurs_4853981_1652692.html#huit-anchor-des-reculs-important
(9) https://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20030326.OBS8641/bachelot-re-autorise-la-chasse-le-mercredi.html
(10) http://chasseurdefrance.com/chasseurs-rencontrent-segolene-royal/
(11) https://www.marianne.net/politique/emmanuel-macron-veut-rouvrir-les-chasses-presidentielles-survivance-de-la-monarchie

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