Besançon : deux militantes devant le tribunal pour une action antispéciste contre KFC
Nécessaire liberté d’expression consacrée par la jurisprudence et relevant du débat d’intérêt général, ou opération aux fondements certes respectables mais dont les méthodes dépassent les cadres admis par la loi ? Accusées d’avoir commis d’importantes détériorations en marge d’une action visant l’enseigne KFC fin 2021, le cas de deux jeunes militantes antispécistes était examiné jeudi dernier au TGI de Besançon. Les débats furent ainsi riches et soutenus, en particulier autour de la qualification pénale quant à l’application de peinture sur des bornes automatiques. Condamnées à l’issue de l’audience, les prévenues ont annoncé leur souhait d’interjeter appel.
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Aucune violence pour la directrice, reste un sentiment d’agression.
Devant le palais de justice rue Mégevand, une trentaine de personnes s’affairent entre banderoles, tracts et prises de parole. Une effervescence destinée à soutenir deux prévenues, poursuivies dans le cadre d’une mobilisation ayant visé l’enseigne KFC de Besançon-centre. Le dimanche 31 octobre 2021, une dizaine de militants souhaitaient en effet alerter sur les conséquences de l’élevage intensif. Mais au stand dressé afin d’informer le public et proposer de la nourriture végane, s’est ajoutée une action « coup de poing. » Plusieurs activistes ont investi le site, déversant de la peinture rouge symbolisant le sang des animaux suppliciés sur quatre des six bornes de commande.
Une composition pénale pour « dégradations aggravées » avait d’abord été refusée, incluant une amende de 2 000 euros avec sursis et trois-cent euros fermes ainsi que le règlement d’une somme de 19 856 euros au titre du préjudice matériel. Une réponse de contestation parfaitement assumée par les protagonistes concernées et le collectif qui les accompagnent, considérant que la sanction proposée était sans rapports avec les dommages occasionnés et la nécessité de saisir l’opinion sur un sujet d’intérêt général. Si la réalité des faits n’est ainsi contestée par aucune des parties, le débat demeurait sur l’étendue des préjudices provoqués et la qualification pénale retenue.
Les deux jeunes femmes à la barre sont inconnues des services de justice, étant détentrices de diplômes supérieurs et travaillant pour une association d’insertion et un fleuron de l’informatique. Mais selon la Présidente, des interrogations subsistent autour de cette date. Qui sont les instigateurs de cette opération, Animal Rébellion est-elle une structure officiellement déclarée, les auteurs se sont-ils concertés et organisés, pourquoi aucune déclaration préalable n’a été réalisée en Préfecture, les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux avaient-elles un but de nuisances, comment se fait-il que la quasi-totalité des interpelés n’aient pas répondu aux questions de la police…
« Il n’y a pas eu de violences physiques ou verbales, je tiens à le dire. Mais objectivement, on a ressenti cette intromission comme une véritable agression. D’ailleurs les choses ne se sont pas arrêtées à l’opération en elle-même, puisque la campagne de communication qui a suivi et les réactions qu’elle a parfois générée ont été particulièrement difficiles à vivre. Nous avions déjà du faire face à des protestations, la controverse même vive ne peut qu’être tolérée. Mais jusqu’alors, nous n’avions rien vécu d’aussi critique. C’est ainsi que je l’ai vécu, comme mes salariés » observe la directrice de l’entreprise, partie civile et un temps en arrêt de travail suite à l’incident.
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« Oui ce combat est juste, mais il ne peut se mener avec ces méthodes. »
À la barre, les mises en cause maintiennent leurs positions. « Nous entendons ce récit, il n’est pas question d’éluder ce ressenti. Toutefois nous persistons à le dire, notre démarche était pacifiste. Il a pu cependant être allégué qu’un de nos camarades avait proféré des menaces, pour avoir seulement exposé aux managers le détail de notre intervention en explicitant que celle-ci n’était pas dirigée contre eux. Évidemment nous n’avons pas tout à fait la même lecture de ces propos, qui cherchaient à énoncer les tenants et aboutissants de notre venue pour éviter un éventuel dérapage. Si le personnel en a été touché, ce n’était pas l’objectif et nous en sommes désolées. »
Pour la Procureure de la République, l’infraction pénale n’est pas contestable en l’état. « Cette affaire est emblématique, s’inscrivant dans les champs de la désobéissance civile et de la liberté d’expression. La jurisprudence est abondante en la matière, fixant toutefois des limites. Ce qui va faire pencher la balance par exemple, c’est que le portrait d’Emmanuel Macron fraîchement décroché soit restitué ou subtilisé. Ici les atteintes aux biens restent graves malgré la légitime thématique, c’est pourquoi une répression est inévitable mais doit être ramenée à une amende de cinq-cent euros avec sursis. Oui ce combat est juste, mais il ne peut se mener avec ces méthodes. »
Après de longs échanges sur la nature exacte du liquide utilisé, maîtres Bastien Poix et Fabien Stucklé développent leur argumentaire pour la défense. « Ce dossier, il devrait être contraventionnel. L’enduit déversé est lavable avec un solvant, alors on s’étonne qu’il ait fallu changer entièrement le matériel… surtout sans justifier des sommes réclamées, n’ayant qu’un simple devis mais pas la moindre expertise ni davantage de factures définitives. Quant à la Cour de cassation, elle a également relaxé des prévenus accusés d’avoir obstrué à l’identique des panneaux publicitaires en considération des modalités et des enjeux. Pour nous, la relaxe s’impose. »
Le soir-même à l’issue de cette journée d’audience, la cours rendait son verdict : la culpabilité et le caractère correctionnel sont retenus, la peine prononcée étant une amende de 1 500 euros entièrement assortie du sursis ainsi que le versement de plus de 20 000 euros au titre des dommages et intérêts et des frais de procédure. « Nous sommes déçues, c’est clair. Globalement les conséquences financières restent très lourdes, au-delà même des réquisitions ! » confie le tandem, qui annonce sa volonté de faire appel. Mais aussi de continuer cette lutte, rappelant qu’une pétition est toujours en cours pour demander la fermeture de ce KFC.
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