Besançon : le 23 mars 2023, un tournant contestataire et répressif
Ce jeudi 23 mars, le mouvement d’opposition à la réforme des retraites à marqué un véritable tournant à Besançon comme partout en France. Alors que la participation demeure historique, les cortèges sauvages et confrontations assumées avec la police deviennent désormais la règle. Côté uniformes, la réponse n’en est que plus violente : usage intempestif de gaz lacrymogène jusqu’à arroser une sortie d’école, lancés de grenades assourdissantes explosant à hauteur de tête, harcèlement aux abords immédiats de la faculté de Lettres, charges chaotiques incluant la tentative d’effraction d’un porche, prémices d’une section motorisée, en sont quelques exemples.
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Au moins 10 000 participant.e.s.
Une importante journée de mobilisation était annoncée jeudi 23 mars dernier, suite au passage en force du gouvernement et à sept jours de confrontations dans la Boucle. Et effectivement plus de 10 000 participant.e.s étaient présent.e.s selon nos estimations, entre 11 500 et 15 000 pour les organisations syndicales mais seulement 8 500 d’après les Autorités. Les centrales, partis politiques, collectifs et associations étaient bien représentés ; alors qu’un cortège de tête fourni et déterminé était aussi en place, incluant essentiellement étudiant.e.s et autonomes. La mobilisation de la jeunesse est devenue significative, tant dans les chiffres que surtout la dynamique du mouvement.
Alors que le site Megevand est fermement occupé depuis le 7 mars, ceux de Canot, la Bouloie, mais aussi certains lycées comme L. Pasteur et C.N. Ledoux s’avèrent également touchés par la fronde. Les pancartes et slogans sont nettement plus incisifs, mais l’ambiance est bon enfant. Alors que le défilé se déroulait tranquillement, un incident vient jeter une ombre au tableau… Estelle, une gilet jaune, connue pour afficher des petites punchlines sur du simple ruban adhésif, est interpelée par deux policiers avant le pont de Bregille. « J’ai été arrêtée, contrôlée et menacée de représailles » déplore t-elle.
Il n’en fallait pas davantage pour convaincre les plus véhément.e.s, la volonté d’une déambulation dans les rues de la ville s’imposant dès lors. Si le parcours initial s’est bien élancé du parking Battant, il devait ainsi aboutir à la place de la Révolution… un défilé somme toute assez classique, que les pontes de la CGT notamment espéraient voir respecté. « Ça fait deux mois qu’on se promène en respectant leurs vœux, ça n’a rien donné. Maintenant c’est terminé, il faut se battre au sens propre » analyse t-on chez les plus révolté.e.s. Ce sont au moins un millier à vouloir déborder en allant jusqu’à la Préfecture. Il est un peu moins de 16h30, et le face-à-face débute.
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Les scènes de guérilla vont alors s’enchaîner, d’abord par la concordance entre le lancement des premiers gaz lacrymogènes et la sortie des élèves de l’école primaire et maternelle Granvelle… un dommage collatéral qui passe très mal, tant pour les manifestant.e.s déjà survolté.e.s que les parents venus récupérer leurs enfants. « Vous êtes de la presse ? Regardez dans quel état ils ont mis mon fils, c’est un scandale ! » interpelle un père de famille. Un autre doit même être calmé par des tiers, concédant avoir été « à deux doigts d’aller foutre son poing dans la gueule aux flics. »
Alors que le chaos règne, c’est aussi à ce moment là qu’un groupuscule néonazi apparaît. « Avec ma copine, on s’étaient réfugiés dans un renfoncement près du Musée du Temps. Six ou sept individus étaient déjà là, attendant l’opportunité. L’un m’a demandé si j’étais antifa puis m’a mis une droite, heureusement nous avons eu le temps de décamper. » Réapparus près de la Mairie, la bande est chargée et éparpillée façon puzzle par une dizaine de contestataires. Parmi eux l’un des profanateurs de la statue de Victor Hugo, qui utilisera une bombe de dispersion pour mieux couvrir sa fuite. Pendant que le calme revient, une assemblée générale s’organise à l’amphithéâtre Donzelot.
En parallèle une centaine de téméraires se posent en sit-in, improvisant un brasier sur la chaussée. Le temps de griller quelques marshmallows, et les charges reprennent. Au moins quatre « grenades à éclats non létaux » (GENL) sont balancées, dont une en cloche explosant à hauteur de tête ; une scène captée par le téléphone d’un étudiant, lequel fulmine : « Le même jour, cette arme a éborgné un cheminot sur Paris. Avec la panique et les gaz, que ce serait-il donc produit si quelqu’un s’était déporté au plus près de la déflagration ? » À nouveau le geste est sanctionné par la foule, à coup de planches en feu et de parpaings… dont un atteignant sa cible, au niveau des jambes.
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Maintien de l’ordre ou politique de la terreur.
Il est environ 18h45, directive est donnée de procéder à l’éclatement actif des poches de résistance ; autrement dit, d’engager une véritable chasse aux ultimes récalcitrant.e.s. Les policiers sont déployés dans tout le cœur historique, en commençant par ratisser les abords de la faculté de Lettres rue Laurent Megevand. « La police a encerclé le bâtiment et les entrées principales, balancé du gaz sur tout ce qui bougeait. Nous avons frôlé l’atteinte au principe d’inviolabilité de l’Université, les conséquences auraient pu être graves. Nous avons réussi à maintenir un cadre jusqu’ici, mais si cette ligne devait être franchie ça serait l’embrasement général » prévient une professeure.
La ligne de front se déplace rue Ronchaux, où une énième fois les choses dérapent de manière incompréhensible. Alors que trois adolescentes s’engouffrent hâtivement dans un porche, un agent escompte les poursuivre coûte que coûte… sur quelles bases et surtout pour quoi faire ? Mystère. Mais la porte s’étant fermée, il inflige des chassés pour tenter de défoncer cette entrave. « Qu’est-ce que c’est que cela, vous vous en prenez à des gamines et cassez mon immeuble ? dégagez bande de c. ! » hurle une voisine de haut de sa fenêtre, retraitée qui se dit pourtant de sensibilité « conservatrice. » Une intervention qui avec d’autres, calment un temps les velléités.
Les ruelles, escaliers, magasins, sont soigneusement scrutés. C’est toute la Boucle et Battant qui sont désormais quadrillés de bleu, avec des check-points réguliers. Il est près de 21h00 quand la situation se fige définitivement entre Révolution et République, après sept heures de marathon. La soirée s’achève avec un bilan de deux fonctionnaires blessés, un centre-ville transformé en champs de bataille, et à notre connaissance aucune interpellation. Rue Claude Goudimel les troupes se rassemblent pour être passées en revue, laissant transparaître un contingent de quatre éléments motorisés vêtus tout en noir
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