« Tirailleurs » : une histoire nationale… et comtoise
Tirailleurs. C’est aussi sobrement que se nomme le film de Mathieu Vadepied, avec Omar Sy et Alassane Diong en vedettes. Une œuvre qui se révèle poignante et instructive sur le sujet, quinze ans après la sortie de « Indigènes » notamment tourné à Faucogney-et-la-Mer (Haute-Saône). Mais alors que cette sortie engendre débats et polémiques, le succès ne se dément pas y compris dans les salles de cinéma. Reste qu’au-delà de cette projection salutaire, une question demeure : en Franche-Comté, quel fut le passé de ces infortunés fantassins ?
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L’histoire commune entre la Franche-Comté et les « Tirailleurs » débute dès la fin du XIXe siècle, lorsque ces troupes débarquent en Métropole et sont postées dans les régions frontalières avec l’Allemagne. Le souvenir de la guerre franco-prussienne de 1870 et l’esprit de « Revanchisme » aidant, des dizaines de milliers d’hommes d’Afrique et d’Indochine sont incorporés de gré ou de force pour soutenir le front qui s’amorce. Ainsi que l’expose un quotidien majeur de Besançon, le climat politique, intellectuel et populaire de l’époque est globalement acquis à cette idée :
« Puisque nous ne voulons plus avoir d’enfants en nombre suffisant pour tenir notre drapeau en face d’une Allemagne de plus en plus pléthorique, nous n’avons qu’une ressource : recruter des soldats parmi les hommes primitifs qui, sous notre domination, consentent à naître et à mourir. Donc, le plus tôt possible, il faut organiser ces troupes noires et arabes pour constituer une force incomparable de 200 000 hommes de métier. Oui, il faut créer l’armée noire, l’armée arabe, soutien de notre décadence » – journal la Dépêche, édition du 2 janvier 1910.
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Durant la Première et surtout la Seconde Guerre mondiale, ces « soldats coloniaux » auront une implication locale parfois déterminante. Fonçant depuis la Provence, cette « armée d’Afrique » gagne Besançon où elle est jointe aux résistants FFI sous l’administration du Général de Lattre de Tassigny. Le 14 novembre 1944, son offensive participe largement à la Libération du reste du Doubs, du Territoire de Belfort, ainsi que de l’Alsace. Au moins 14 000 de ces uniformes se sacrifieront sans retour au Pays, et alors que leur rôle n’a pas toujours été pleinement considéré.
La nécropole de Rougemont accueille pourtant quelque 2 169 tombes de militaires tombés dans l’Est, dont 1 251 dédiées aux « musulmans. » On retrouve des témoignages analogues mais discrets dans l’espace public de Besançon, avec la vingtaine de stèles du cimetière de Saint-Claude, la statue intitulée « les Sentinelles de la Mémoire » aux Glacis, ou encore la plaque commémorative dédiée à « l’armée d’Afrique » à Helvétie. Une réalité occultée par le « blanchiment des troupes coloniales », mais que les historien.ne.s, militant.e.s, artistes et cinéastes, s’évertuent à réhabiliter.
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Crédit photo en-tête : Bruno Adreani – tombes musulmanes de la Nécropole Militaire de Rougemont, le 25 janvier 2009.