L’historien François Jarrige explore, dans son dernier livre « La ronde des bêtes », une facette méconnue de l’histoire industrielle : l’importance du moteur animal, un pilier énergétique souvent ignoré mais crucial, et surtout décarboné, de la révolution industrielle.
Lorsque l’on pense à cette révolution, l’image de la machine à vapeur, propulsant trains, bateaux et usines, émerge naturellement. Pourtant, comme le souligne Jarrige, cette vision est incomplète. Certes, le XIXᵉ siècle est marqué par l’essor des énergies fossiles, mais il a également été le théâtre d’une autre forme d’énergie : celle fournie par les animaux. Une force motrice qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, a profondément façonné la modernité industrielle.
En moins de 500 pages, François Jarrige, maître de conférences à l’université de Bourgogne, retrace l’histoire fascinante de ces « animaux prolétaires », utilisés comme moteurs économiques. Bien avant l’ère des combustibles fossiles, ces bêtes ont occupé une place centrale dans l’économie occidentale, un rôle qui s’étend de l’Antiquité jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, moment où leur usage a progressivement décliné.
Qu’il s’agisse de chevaux, bœufs, ânes ou mulets, ces animaux étaient des moteurs « low-tech » avant l’heure, peu coûteux et facilement réparables. Ils ont joué un rôle clé dans des secteurs variés, des mines à l’agriculture en passant par le textile et la sidérurgie. Au XIXᵉ siècle, des « roues à chien » actionnaient les meules des cloutiers, tandis que dans les fermes, les chevaux étaient sollicités pour toutes sortes de tâches, de la fabrication du cidre à l’irrigation des champs. Dans ce contexte, s’est formé un univers de collaboration entre humains et animaux, marqué par l’exploitation, certes, mais aussi par un certain partage du travail.
Auteur reconnu pour son travail sur les énergies alternatives, Jarrige tente, à travers **La ronde des bêtes**, de remettre en lumière cette technique oubliée, rarement évoquée dans les débats sur la transition écologique, bien qu’elle ait, selon lui, encore un potentiel pour nous aider à sortir de notre dépendance aux énergies fossiles. Pourtant, si le moteur animal pourrait, pour certains usages limités, intégrer un mix énergétique décarboné, son histoire reste avant tout celle d’une « ex-novation », un processus de déclin technologique.
Relégué aux marges par les énergies fossiles, critiqué pour son manque de rapidité et d’efficacité, le moteur animal est devenu, au tournant du XXᵉ siècle, un symbole d’arriération technologique, voué à disparaître dans les musées.