International: Nouvel assassinat de deux journalistes kurdes
Ce 23 août 2024, deux journalistes kurdes ont été assassinées par un drone turc. Un acte ignoble et lâche, survenu au Kurdistan irakien, tout près de la ville de Souleymanieh. La rédaction avait envoyé, à l’invitation de l’Association des journalistes femmes de Mésopotamie, une journaliste pour le tournage d’un mini-documentaire sur la situation, dont la finalisation est en cours.
Une situation unanimement dénoncée par les syndicats de journalistes en France et dans d’autres pays, ainsi que par les fédérations européenne et internationale de journalistes. Des organisations internationales, comme le CPJ, ont également exprimé leur indignation dans des communiqués
Sur place, l’ampleur du problème se mesure à chaque instant. Les journalistes sur le terrain — y compris les collègues des deux victimes — ne peuvent plus exercer hors des zones urbaines sans risquer leur vie. Les rushes du tournage montrant l’endroit où la voiture des victimes a été pulvérisée par un missile ont dû être partagés à distance avec leurs équipes. Il était tout simplement impossible de se rendre sur place en raison des risques mortels encourus. Les échanges avec le gouverneur, les organisations de défense des journalistes, et les représentants des médias locaux ont révélé une détresse palpable : celle de collègues désespérés de devoir travailler dans ces conditions. Une détresse parfois mêlée de colère, face à l’indifférence de la presse locale et internationale, qui détourne trop souvent le regard.
Pour les Kurdes, le véritable drame réside dans le silence médiatique. Pourquoi les visages de ces deux femmes n’ont-ils pas fait le tour des écrans du monde entier, comme cela aurait été le cas pour d’autres journalistes assassinés ailleurs ? Pourquoi ce recul, ce mutisme, dès lors qu’il s’agit de journalistes kurdes ? Quelle est la valeur de leur vie ?
Alors que nous finalisons ce documentaire vidéo, une nouvelle tragédie frappe. Ce 19 Décembre, la nouvelle tombe. Deux autres journalistes viennent d’être assassinés par un drone turc, selon les médias locaux. Nazim Daştan (29 ans) et Cîhan Bilgin (32 ans), deux journalistes kurdes originaires de Turquie, ont été exécutés avec la même froideur. Leur véhicule, circulant sur une route de la région de Kobané au Nord de la Syrie, a été ciblé à distance par un drone turc.
Lorsqu’on assassine un journaliste, on assassine aussi la voix de millions de personnes. Et c’est précisément là le but : réduire au silence la voix des millions de Kurdes.
Ce climat d’impunité trouve ses racines dans les relations internationales. Erdogan contine à être accueilli avec déférence aux tables diplomatiques du monde entier alors qu’il a le sang des Kurdes (des civiles et journalistes) sur ses mains. Son ambition expansionniste est connue, mais tolérée. L’hypocrisie est telle qu’elle donnerait presque envie de rire si elle ne masquait pas autant de morts. Comme Netanyahou, qu’il dénonce pourtant publiquement, Erdogan ne cache pas ses intentions. Il a déclaré vouloir écraser « les chefs des organisations terroristes, telles que l’EI, le PKK et les YPG, dans les plus brefs délais. » À l’instar de Gaza, Erdogan prépare son armée à raser une « zone tampon » de 30 kilomètres le long de la frontière turco-syrienne. Une « zone de sécurité » qui dissimule en réalité un projet d’expansion territoriale et une volonté d’effacer les Kurdes. Ce qui se prépare, c’est un génocide et une épuration ethnique, soigneusement déguisés sous des prétextes de sécurité.
Sur le terrain, des organisations kurdes comme les Unités de protection du peuple (YPG) et leur branche politique, le Parti de l’union démocratique (PYD), restent en première ligne face aux attaques. Ces groupes, piliers des Forces démocratiques syriennes (FDS), ont joué un rôle déterminant dans la lutte contre Daech, protégeant ainsi indirectement l’Europe d’attaques terroristes.
Pour Erdogan, ces organisations sont associées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qu’il qualifie de terroriste en raison de sa lutte pour l’autonomie kurde. Cette association est largement contestée par la communauté internationale, mais elle offre à Erdogan un prétexte commode pour des opérations militaires brutales, marquées par des destructions massives, des déplacements forcés, et une transformation démographique des régions kurdes.
Les journalistes kurdes sur place sont essentiels. Sans leur travail, les exactions ne sont pas documentées. Sans leurs voix, les crimes restent invisibles, et le silence triomphe. Ce silence, Erdogan en a besoin pour poursuivre ses projets mortifères.
Cette attaque contre la presse montre une chose : la faiblesse du régime Erdogan. Quand un régime va jusqu’à assassiner des journalistes, il dévoile la peur que ces voix dissonantes lui inspirent. Tout comme l’armée israélienne cible les journalistes à Gaza, l’armée turque élimine ceux qui, sur le terrain, accomplissent un travail crucial, parfois au péril de leur vie.
Protestation et arrestations en Turquie
Cet acte a déclenché une vague de protestations (comme d’habitude, en Turquie réprimées par la police), allant du Kurdistan à l’Europe, dénonçant les actions de la Turquie.
Shanaz Ibrahim Ahmad, membre du bureau politique de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) et première dame d’Irak, a exprimé son profond regret pour ces assassinats. Elle a dénoncé les efforts de la Turquie pour occuper le Rojava et réduire les journalistes au silence, tout en soulignant l’histoire sombre de la Turquie en matière de meurtres de journalistes. Ahmad a appelé la communauté internationale à ne pas rester passive, réclamant la fin des brutalités et l’établissement d’un comité d’enquête sur ces assassinats.
De leur côté, les membres de l’Union démocratique des médias du Kurdistan (YRD) ont publié un communiqué depuis le camp de réfugiés de Makhmur, exprimant leurs condoléances et réaffirmant leur engagement à documenter la vérité malgré les attaques turques.
En solidarité, des journalistes femmes du Kurdistan iranien (Rojhilat) ont condamné les assassinats sur les réseaux sociaux malgré les risques sécuritaires en Iran. L’agence JINHA a également recueilli leurs témoignages et partagé des vidéos de soutien à la lutte des femmes kurdes dans le nord-est de la Syrie.
Le 20 décembre, des rassemblements de protestation ont eu lieu dans plusieurs villes européennes (Paris, Cologne, Winterthur, Lausanne et Nicosie) pour dénoncer les meurtres de journalistes et réclamer une enquête internationale.
La rédaction de Média 25 / Radio BIP exprime son soutien indéfectible aux journalistes kurdes et adresse ses pensées les plus sincères aux familles, amis et collègues des victimes. Nous nous tenons à leurs côtés, aujourd’hui plus que jamais.