22 août 2018 Share

« L’affaire » de l’arrêté anti-mendicité à Besançon

Depuis quelques jours, l’info a fait le tour de la France. Dans un premier temps, sortie par l’Est Républicain, l’info a rapidement été reprise par les médias nationaux. France Info, France 2 et même sur TF1, Jean Pierre Pernaud a relayé cette nouvelle dans son journal. « Un arrêté contre la mendicité a vu le jour à Besançon« . Alors que juste quelques jours auparavant, Besançon apparaissait dans un article national largement relayé sur les réseaux, comme « la deuxième ville ou fait bon vivre en France »,  l’arrêté anti-mendicité vient casser l’image d’une ville accueillante et humaine.

Que s’est-il passé ?

Le 2 juillet 2018, le maire de Besançon, Jean-Louis Fousseret, dans une réunion municipale ou l’ensemble des adjoints de la ville (de tous bords) étaient conviés pour discuter les dossiers du jour, a abordé le sujet des incivilités dans les rues du centre-ville. Une discussion qui arrivait sur la table suite à plusieurs réclamations de la part de certains commerçants et riverains du centre ville. En cause, des personnes alcoolisées qui d’après les réclamations auraient accosté de façon plus ou moins agressive les passants. Alors que les dossiers étaient connus par l’ensemble des adjoints, car les sujets abordés en réunion sont mis à disposition des adjoints quelques jours auparavant, personne ne voit un caractère anti-mendiants dans le dossier. D’ailleurs, la discussion semble tourner autour des incivilités et surtout des aspects techniques et juridiques. Anne Vignot, adjointe à la ville (EELV) va plus loin et parle de mea-culpa. Pas assez d’attention au texte car la discussion était concentrée sur la sécurité des riverains. Le texte final ne semble pas être vraiment lu par les adjoint.e.s, d’après leur témoignages et c’est ainsi que l’arrêté a pu voir le jour dans ce format. En deux mots, une partie des adjoints à la ville n’ont eu réellement connaissance du texte final qu’après coup.

Il s’en suit la publication dans l’Est Républicain de l’arrêté. Pourquoi seulement le 16 août ? C’est encore un mystère. Ce qui est sûr, c’est que l’arrêté n’était pas présent le 17 août sur les panneaux des publications officielles de la Mairie, comme tout arrêté devrait y figurer.

Que spécifie l’arrêté ?

Voir l’arrêté dans son intégralité en format pdf

[…] Considérant l’augmentation dans certains lieux publics et devant certains édifices, du nombre de personnes souvent accompagnées de chiens, gênant la circulation des usagers sur les voies publiques,
Considérant les réclamations croissantes des riverains, usagers et commerçants, adressées à la Ville de Besançon, faisant état de ces troubles,
Considérant que de tels comportements et agissements engendrent des nuisances et des troubles à la tranquillité publique,
Considérant que la mendicité exercée sur la voie publique et la présence de personnes en position assise ou allongée de manière prolongée, et notamment dans les secteurs commerçants de la Ville, occasionne une gêne à l’accès à certains commerces du centre-ville,
Considérant que la mendicité exercée dans certains lieux publics eu égard à la configuration des lieux, peut entraver le passage des usagers et gêner la circulation des piétons et des véhicules, particulièrement lorsque lesdites personnes ont avec elles des animaux domestiques non tenus en laisse,
Considérant l’affluence touristique du 9 juillet au 30 septembre et les festivités et animations de fin d’année organisées entre le 23 novembre et le 31 décembre 2018,
Considérant que ces troubles à l’ordre public sont essentiellement constatés du lundi au samedi entre 10 H et 20 H, période durant laquelle l’affluence en centre-ville est plus importante ainsi que le dimanche durant les festivités de fin d’année,
Considérant que les actions préventives entreprises par la commune n’ont pas suffi pour remédier aux troubles à l’ordre public constatés,
Considérant qu’il appartient au Maire de prendre toutes dispositions afin de garantir la sécurité et la tranquillité publique, sur certaines voies et places et à certaines périodes compte tenu de l’importance de la fréquentation et de la configuration des lieux,

Article 1: La consommation d’alcool, la mendicité, accompagnée ou non d’animaux, les regroupements, ainsi que la station assise ou allongée lorsqu’elle constitue une entrave à la circulation publique sont interdites dans les conditions définies ci-après.

Article 2: La présente mesure est en vigueur : Du 9 juillet 2018 au 30 septembre 2018 inclus : du lundi au samedi de 10 H à 20 H, du 23 novembre 2018 au 31 décembre 2018 inclus : du lundi au dimanche de 10 H à 20 H, sur les périmètres suivants : Grande Rue, Rue des Granges, Place Pasteur, Place du Huit Septembre, Pont Battant et Rue Battant, Quai de Strasbourg et Place Jouffroy D’Abbans, Rue Champrond

Le fond du problème

La ville de Besançon se retrouve dans une situation particulière. Jean-Louis Fousseret, a été élu maire de la ville en 2014 en tant que membre du PS dans une alliance PS, EELV et PCF. Cependant, en 2017 il a quitté le PS pour « être clair et cohérent » car il avait annoncé son soutien à Macron. Un soutien de la première heure. Il compte d’ailleurs parmi les premiers maires de France a avoir changé de camp politique dès la création du mouvement « En Marche ». Il expliquait cela par une volonté de « dépassement des clivages partisans pour essayer de rassembler les gens qui peuvent se mettre d’accord pour avancer ».

Depuis ce fort changement politique, encore plus visible après l’élection d’Emmanuel Macron, la majorité municipale se retrouve dans une situation unique. Des dossiers qui vont de toute évidence à l’encontre des valeurs de la gauche se retrouvent de façon régulière sur la table, comme pour la situation des migrant.e.s, avec récemment, l’expulsion d’un local, vide depuis plusieurs années et occupé par le collectif Solidarité Migrants Réfugiés qui avait comme but d’apporter une aide aux exile.e.s à la rue. L’arrêté anti-mendicité a d’ailleurs, précisé une politique qui est dans la ligne des politiques de droite (comme à Nice, où Christian Estrosi a mis en place le même type d’arrêté). C’est un moment fort dans l’histoire de la ville qui s’est fait connaitre dans le passé par une politique sociale d’envergure.

En dehors de l’aspect symbolique et politique, il y a l’aspect humain qui ne peut pas être « caché » ou « éliminé » à coup d’amende de 38€ par infraction. Les opposant.e.s à cette décision en témoignent: « il faut plus d’aide et moins de répression pour les personnes à la rue ».

Les partis de la majorité municipale pointés du doigt

La France Insoumise, pointe dans un communiqué la « chimère monstrueuse que constitue cette majorité LREM/PS/EELV/PCF, qui a permis que cet arrêté voit le jour. Besançon n’est pas une ville « En Marche » et cet arrêté va à rebours de toute la tradition humaniste et sociale de la ville ».

EELV ont expliqué dans un communiqué que « l’arrêté du Maire de Besançon qui a été produit, non étudié dans son integralité lors de la réunion, dépasse de très loin les éléments qui ont été échangés » et demandent « le retrait de cet arrêté dont la teneur est disproportionnée et inadapté ».

Le PCF se défend dans un communiqué en expliquant  qu’il « n’est pas question de tomber dans l’angélisme et la naïveté. Il y a des problèmes à Besançon au centre-ville qu’il faut regarder en face : agressions verbales, insultes à caractère sexiste, problèmes de propreté, etc. Mais ces problèmes ne concernent qu’une toute petite minorité de ceux qui sont visés par l’arrêt anti-mendicité. Il est impensable de criminaliser tout un groupe pour les agissements d’une minorité » et demandent aussi le retrait de l’arrêté.

Cependant, le maire de Besançon estime (auprès de nos confrères de MaCommune) que « ce n’est pas un arrêté anti-mendicité ! On présente cela comme un arrêté anti-mendicité, mais c’est un arrêté qui dit que lorsqu’il y a de la consommation d’alcool accompagné ou non d’animaux, des regroupements, des stations assises prolongées et qu’il y a une entrave à la circulation, c’est interdit ». Un rétropédalage tardif qui n’a pas réellement convaincu, car plus de 200 personnes se sont donné rendez-vous centre ville pour une manifestation où les gens se sont assis dans une zone interdite par l’arrêté.

Dans tous les cas, la majorité actuelle, semble avoir touché un point de rupture. « Il y a ici un malaise, une rupture de la confiance », accorde Anne Vignot (EELV). Des implications à court terme ? Reste à voir ce que cette évolution signifie.

Manifestation du 18 Août

Plus de 200 personnes se sont retrouvées centre ville de Besançon pour manifester contre l’arrêté (voir reportage vidéo).

Munies de pancartes avec des messages comme « Jean-Louis, t’es pas fatigué d’être en marche ? Viens t’asseoir un peu » ou « L’espace public est le seul bien commun de celles et ceux qui n’ont plus rien. Les chasser est indigne et immoral » elles ont passé plus de 2 heures assises ou allongé.e.s. Plusieurs personnes ont pris la parole pour dénoncer la politique menée par la Ville.

Une manifestation qui « n’en reste pas là ». Une deuxième est prévue pour le 1er septembre, car l’arrêté est effectif jusqu’au 30 septembre et aussi entre novembre et décembre.

Sur les réseaux sociaux

La machine s’est emballée ces derniers jours. Les parties prenantes de fendent en communiqués de presse et les hashtags #jesuisassise et #jesuisassis prennent d’assaut la twitosphere. Cela lui a même valu un reportage dans Télé Matin sur France 2, ou les tweets et posts Facebook ont été recensés avec en prime, les slogans de la manifestation.

Les Jeunes avec Macron du Doubs ont repris le message de Jean-Louis Fousseret, en expliquant qu’il ne s’agissait pas d’un arrêté « anti « SDF » ou « mendicité » mais un arrêté contre les incivilités dans l’espace public qui, par ailleurs, s’est décidé dans la concertation avec les bisontins ». Cependant, le texte de l’arrêté, spécifie noir sur blanc que la mendicité est interdite et la décision a été prise en réunion restreinte avec les adjoints au maire.

Mieux les connaître

Quand on s’intéresse à la situation des personnes à la rue, le plus simple c’est d’aller à leur rencontre. Plusieurs personnes ont apporté leur témoignage sur les réseaux sociaux, pour soutenir les personnes sans domicile fixe. Nous avons souhaité reprendre le témoignage de Martial Cavatz, qui apporte un éclairage authentique

Contrairement au Maire de Besançon qui vit caché derrière un mur de petits fours, j’ai connu et je connais encore des SDF et donc son arrêté anti-mendicité me fout la fout gerbe.
Il y a eu d’abord Nicolas qui venait à la maison et qui vivait dans une cabane dans les bois. C’était un pote à mes parents qui l’avait ramené. Il mangeait et buvait quelques bières chez nous. Je l’ai pas revu, il est peut-être ailleurs mais plus sûrement mort. A la rue, on passe rarement la barre de la cinquantaine. On y meurt dans l’indifférence générale. Il n’y a pas d’associations défendant les droits politiques des SDF, c’est une cause qui n’intéresse personne. On préfère pouvoir marcher tranquille dans les rues et consommer sans être interpellé. Et tant pis si notre confort se fait au prix de tant de souffrance et de morts.
Il y a Samir qui venait, comme moi, des 408, un mec qui avait la classe au quartier… De mon de point de vue de gamin en tout cas. Quand il faisait trop le con, je sais que son père sortait le ceinturon, mais au quartier c’était assez classique. Puis après, il y a eu, Habib, son frère, que je connaissais un peu, qui a fini avec dix-sept coups de couteaux dans le bide dans une cabine téléphonique. Depuis, je croise, Samir, de temps en temps, il est souvent défoncé ou torché, il a tellement foutu la merde un peu partout que les foyers n’en veulent plus. Comme ça fait un certain temps que je ne l’ai pas vu, je pense qu’il a dû remonter en tôle pour une vitrine cassée ou une connerie du même genre. C’est triste mais la prison ça lui fait du bien. Il en ressort en pleine forme. Ça lui sert de cure de désintoxication.
Il y a Gigi qui fait la manche en ce moment devant Monoprix. Gigi, je l’ai connu en fac, des copains le logeaient gratos dans leur colloc du square Saint-Amour. Il y en avait un qui le connaissait depuis tout jeune. Plusieurs meufs ont essayé d’aider Gigi mais ce fut un échec. Gigi, comme Samir, porte des trucs trop lourds en lui. Il faudrait un vrai accompagnement sur le long terme et avec de vrais moyens. Parfois, il va mieux, on est content pour lui et puis ça retombe. Il y a deux ans, au Marulaz, il avait tenu à me payer une tournée pour me remercier de toutes les pièces que je lui filais. Je croyais qu’il avait trouvé une porte de sortie et paf le revoilà parti pour un tour de vie de merde.
Et pis il y a tout ceux dont je ne connais pas le nom, avec qui je parle de temps en temps, on se serre la main quand on se croise dans la rue Battant. Je me contente de filer un peu de monnaie, je ne suis pas un héros, je n’ai pas comme mes potes, du bar en bas de chez moi, logé une SDF. Mais si je ne suis pas héros, j’aimerais déjà ne pas être un salaud. Et, la meilleur manière semble déjà de ne pas être indifférent. On pourrait s’inspirer des luttes pro-migrants en se déclarant tous mendiant et en allant s’asseoir dans les rues. Moi je veux bien venir avec ma bouteille de rouge pour dire merde bien haut à ceux qui produisent la misère et qui ont en plus le culot de ne pas vouloir la voir sous leurs fenêtres. On pourrait aussi demander aux camarades du PC qui appartiennent à cette municipalité ce qu’ils en pensent car ce n’est pas par eux qu’on a eu l’info.
Ce serait bien que nos luttes intègrent réellement et concrètement la question des sans-abris au lieu de se contenter de compter les morts.

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